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Ludivine s’était levée d’une saccade.

— Est pas vrai, dit-elle sèchement. Elle va pas mouri.

Elle avait l’air, dédaigneuse, d’envoyer une chiquenaude à la destinée. Pour ne même pas marquer le coup, car ce suprême malheur n’était pas admissible, elle se tourna vers son petit frère et se remit à le taquiner. La grêlée, elle, continuait à parler, à parler, à commenter, reprenait du commencement quand elle avait terminé, énonçait des petites sentences, accompagnant ce bavardage intarissable de pauvres gestes mercenaires.

Elle s’était mise à laver dans un baquet. Elle n’avait pas l’air de trouver extraordinaire que sa fille, elle, ne fit rien. Elle était accoutumée à peiner seule au milieu des tyrans oisifs.

Le jeu de mains de Ludivine avec son petit frère s’amollissait de plus en plus. Inattentifs, les yeux pâles suivaient des rêves.

Encore une fois rôder autour de la maison Le Herpe, ce n’est pas une chose à faire. Il est bien fini, ce cauchemar-là…

La mère Bucaille, enfin, s’était tue. Un silence s’établit, où ne s’entendait plus que le bruit des mains frottant le linge.

Au bout d’un moment :

— Y en a, des belles pommes, à c’t’heure !… fit négligemment Ludivine,

— J’en ai encore une dans ma pouquette ! s’écria le petit frère en mettant la main à la poche de sa veste déchirée,

Ludivine repoussa la pomme qu’il lui tendait naïvement. Elle examina le plafond, puis :

— Supposons qu’la mère meure… dit-elle d’un ton dégagé. Alors le gas Delphin restera tout seû chez lui ?

La bouche édentée de la vaillante laveuse remua. Heureuse de reprendre le bavardage :

— Vieuille trop bête, se récria-t-elle, l’gas Delphin ira à l’orphelinat des marins ! T’as donc pas entendu que j’viens de te dire qu’y n’a pus qu’sa mère sù la terre, et pas ça !… que défunts ses oncles