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Mais la pauvre créature, depuis si longtemps enfoncée dans son malheur, goûtait, éperdue, la joie de se trouver subitement en plein conte de fées. Et certes elle avait compris, cette fois, qu’une petite sœur lui était née, dont l’autorité terrible allait maintenant la seconder et même la défendre quand il le faudrait. Elle n’était plus seule. Son sort changeait brusquement de face. Bientôt toute la famille plierait sous les yeux trop clairs de Ludivine. Les petits frères, ah ! s’ils lui obéissaient ! Le père lui-même allait trouver à qui parler, désormais.

— Pourvu seulement qu’on arrive à rattirer Delphin chez nous !… pensait-elle avec angoisse.

Car elle savait fort bien que tout ce revirement n’était qu’un effet de l’orgueil de sa damnée fille, bel orgueil du cœur qu’on ne rencontre vraiment que dans le populaire.

Tout en frottant, brossant, balayant, exténuée et fière :

— Ça y est ! La v’là ambitionnée !… Non !… J’crois pas qu’elle acceptera d’contredit ; car est elle qui va faire la loi, maintenant !

Elle ne s’attardait même pas à l’idée que Bucaille pouvait ne pas accepter cette adoption. Tout son instinct le lui disait : Ludivine était le seul maître, à présent.

— Il est rentré saoul, hier, songeait-elle, et on n’a pas pu r’parler de rien…

La boisson, c’était cela, le point noir.

— Ça, j’vois pas comment qu’elle l’empêchera, par exemple !

Absorbée dans le rangement d’une armoire, Ludivine :

— Tiens !… Attrape ce paquet de hardes ! Y aura bien là n’dans queuque chose à prendre pour les petits. Y sont si bien culottés, à c’t’heure, pour aller à l’école, qu’on leur voit tout ce que Jésus leur a donné !

Se retournant tout d’une pièce, elle continuait, menaçante :

— Et pis, va falloir les chausser, tu sais ben !