Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73

Hypnotisée par le regard de cette inattendue ménagère de quatorze ans :

— Moi j’dis pas non !… s’inclinait la mère. Mais est pas moi qui tiens l’argent !

— L’argent ?…

L’enfant hochaït la tête en clignant des yeux :

— Aie pas peur ! Y nous en donnera !

« Mon Dieu, murmurait mentalement la grêlée, Vierge Marie, mon doux Joseph, faites que l’tit gas Delphin soit chez nous l’plus tôt possible ! Ainsi soit-il ! »

Or donc, la petite, assise sur le seuil de la porte ouvrant dans la rue, tenait entre ses genoux une bassine dont elle faisait un soleil.

Acharnée, les cheveux dans les yeux, elle ne vit pas, enveloppé des brumes de ce matin qui sentait déjà l’hiver, la silhouette qui se glissait devant elle. Mais elle entendit bien le sourd « bonjour » qui la saluait.

Le nez aussitôt en l’air, elle ne fit qu’un bond pour se lever. Delphin, qui avait déjà touché son béret, le toucha une seconde fois. Bien élevé, ne devait-il pas ce geste à qui, deux fois de suite, avait suivi les siens au cimetière ?

Il allait continuer sa route et prendre l’impasse Sérène. Debout devant lui, Ludivine l’arrêta.

Quelques curieux regardaient l’intéressant petit bonhomme, si pâle, et qui portait l’enterrement de la veille dans toute l’expression de sa face.

— Excusez-moi !… dit d’abord Ludivine bien bas. Je suis faite comme une chiffetière, mais on est en nettoyage chez nous. Est pour ça !

Et le mot « nettoyage » fut une volupté pour ses lèvres.

Elle savait comme tout était propre à l’intérieur.

— Entrez donc un peu !… pria-t-elle avec une petite fierté.