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Il prit son air gêné.

— N’suis dehors que pour un môment… expliqua-t-il. On m’envoie chez nous (sa voix sombra sur ces douces syllabes) pour chercher queuques papiers qu’y faut que j’montre…

Et là-dessus, tout de suite son petit visage se déforma, cherchant à retenir les larmes.

— Allons ?… Entrez !… Entrez !… dit Ludivine avec une autorité douce, sur le ton qui signifie : « Il n’est pas convenable que vous pleuriez dans la rue. »

Quand il fut dans la cuisine où tout étincelait, où régnait l’odeur de l’eau de Javel et du savon noir, il parvint à maîtriser son sanglot, Et même ses yeux, malgré lui, s’étonnèrent.

Ludivine, au passage, saisit cela. L’effet était produit. Elle respira profondément.

— Assayez-vous donc ?… dit-elle en tendant une des vieilles chaises dépaillées.

Puis :

— Voulez-vous un brin d’café ?… J’en ai là qui reste du père.

— Oh ! oui !…

Ce fut dit avec tant de cœur, avec une envie si enfantine qu’elle pensa : « Il en est privé, c’est sûr ! »

Comme une gosse qu’elle était, elle mettait quelque emphase dans ses allures de bonne ménagère. Ce jeu nouveau l’étonnait tellement elle-même !

Avec bruit, elle secoua le feu dans le fourneau, mit à chauffer la cafetière, puis enfin se retourna. Le petit Delphin pleurait en silence.

C’est un des génies du populaire de chez nous de deviner, sur les visages, les phases subtiles de l’action intérieure. Le petit Delphin pleurait parce que, maintenant, c’étaient les voisins tant méprisés qui lui donnaient du café, comme à un pauvre ; et Ludivine comprit cela comme s’il le lui eût dit tout haut. Ce fut donc par une suprême délicatesse qu’elle tint à s’excuser :