Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84

En attendant le départ de son matelot pour la marine de l’État, Bucaille faisait faire à l’orphelin le service de mousse, encore qu’il ne le prît pas tous les jours à bord de sa barque.

Assez froid, méfiant, le grand marin parlait peu à cet enfant des autres, qu’il supposait toujours méprisant. Tout ce que le petit avait appris à l’école des marins de la Basse-Seine l’étonnait en l’humiliant vaguement. Aussi ne lui donnait-il jamais un ordre, en mer, sans ajouter ironiquement : « Tu sais cha mieux qu’moi, bien entendu ! »

L’adolescent se rendait bien compte de tout ce qu’il y avait dans cette attitude. Mais il sentait aussi qu’il avait le féminin pour lui ; et les petits garçons commençaient à l’aimer bien.

Il n’avait pas parlé de retourner à son école, par on ne sait quelle délicatesse obscure. Sa vie, maintenant, était bouleversée. Il se devait tout entier à ses bienfaiteurs ; il lui fallait se plier à leur manière d’être, sans manifester ni regrets ni étonnements.

Quand Ludivine se fâchait, pourtant, et que sa mère lui répondait, que devait penser cet enfant bien élevé, qui, chez lui, n’avait jamais rien vu ni entendu qui pût le choquer dans sa distinction native !

La petite bonne femme menait son monde comme on fait ronfler une toupie. Les claques pleuvaient sur les joues des petits frères à la moindre occasion. Et les scènes criardes qu’elle faisait à sa mère dépassaient tout ce que l’orphelin avait jamais imaginé.

C’était toujours au sujet du ménage que les tempêtes éclataient. La grêlée se fut volontiers relâchée quant à l’astiquage excessif exigé par sa fille. Elle ne comprenait pas pourquoi cette gamine, élevée dans la malpropreté, si mal tenue elle-même jusqu’ici, voulait maintenant cet intérieur irréprochable. Comment eût-elle deviné le tableau resté pour jamais dans le souvenir de Ludivine, vision d’un instant à travers des volets mal fermés, un soir, un soir…

Lorsque les criailleries commençaient, le pauvre Delphin baissait la tête, tout épouvanté par la violence inouïe de sa terrible petite