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ble, voilà donc le couronnement de la théorie morale de l’auteur. C’est à Dieu qu’il faut en appeler en dernier ressort, et c’est lui qui maintient l’harmonie universelle dans les cœurs et dans les diverses parties du corps social. Cette harmonie universelle est belle, selon Smith, comme un immense mécanisme dont toutes les parties marchent d’accord, et, à cause d’elle, chaque rouage, chaque mouvement du mécanisme, c’est-à-dire tout acte de chaque individu agissant conformément à sa nature, devient, par cela même, beau : c’est là, pour le philosophe écossais, le principe de la beauté morale. Nous le reconnaissons aussi, cette harmonie est belle ; il est beau de voir tous nos sentiments et tous nos intérêts concourir à la même fin ; mais toutes les actions combinées dans ce but sont-elles bonnes par le fait même de la beauté de « la vaste machine de l’univers » ; c’est ce que Smith affirme sans le démontrer. Nous estimons, au contraire, que, bien que ce soit un effet de la loi morale de produire l’harmonie, il ne s’ensuit nullement que cette tendance à l’harmonie soit le caractère auquel on doive reconnaître la loi morale, car elle est fondée sur un instinct qui n’a en lui-même aucun caractère moral et auquel aucune obligation ne peut être attachée.

Ainsi, malgré son imagination ingénieuse et même quelques infidélités au principe général de son système, Smith est impuissant à donner un caractère obligatoire à sa règle morale. C’est qu’il est tombé dans la même erreur que d’autres philosophes qu’il a combattus, et, comme eux, il a pris l’un des mobiles que Dieu a placés en nous comme auxiliaires de la loi morale pour cette loi morale elle-même. Tandis que d’autres trouvaient le criterium du bien dans l’amour de soi, l’égoïsme, tandis qu’Hutcheson le plaçait dans la bienveillance, le professeur de Glasgow a cru le rencontrer dans la sympathie ; mais ce mobile, qui lui paraissait plus noble que l’égoïsme, n’est comme lui que l’effet d’un instinct, et, pas plus que lui, il ne peut avoir de caractère obligatoire.

Telle est la doctrine exposée par Adam Smith dans la Théorie des sentiments moraux. Bien que le principe en soit erroné, l’auteur en a tiré des applications curieuses, parfois même fort justes lorsqu’il ne tentait pas de les rattacher trop étroitement à son système. Il a rendu d’ailleurs un réel service à la