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philosophie en poursuivant cette étude de l’un des plus puissants mobiles du cœur humain, et si, au lieu de considérer cette œuvre comme un traité de morale, on ne veut voir en elle qu’une monographie de la sympathie, si on néglige l’enchaînement systématique, des idées pour n’en retenir que les observations délicates et les aperçus originaux qui abondent à chaque page, on trouvera dans ce livre des documents précieux pour l’étude de la psychologie. C’est pour ce motif que nous nous sommes efforcé de multiplier les citations et de laisser parler le plus souvent possible l’auteur lui-même dans l’exposition de son système ; on voudrait pouvoir tout citer, tant est grand le charme exquis qui se dégage de l’ensemble de l’ouvrage.


On a comparé quelque part le livre de Smith aux Caractères de La Bruyère. Il est certain qu’il y a dans la Théorie des sentiments moraux, et surtout dans la première partie, une foule d’observations qui ont la même allure et une valeur égale aux remarques de La Bruyère. La plus grande différence réside dans la forme qui leur est donnée. Chez le moraliste français, les observations sont présentées dans un ordre particulier, très séduisant, et groupées de manière à peindre des caractères ; chez le philosophe écossais, au contraire, elles ne sont là que pour vérifier un système, comme preuves à l’appui, ou plutôt, dirions-nous, pour illustrate un traité didactique, si nous osions employer cette expression fort exacte de la langue anglaise. Mais c’est justement à cette différence de forme que tient le succès différent des deux livres : les Caractères sont toujours lus, ils ont place dans toutes les bibliothèques, à, l’étranger comme en France, parce que La Bruyère ne paraissait chercher qu’à peindre et qu’il évitait ainsi d’attacher son œuvre au sort d’une doctrine ; Smith, au contraire, n’observait que pour expliquer ensuite, et lorsque l’erreur de sa théorie a été démontrée, le livre est tombé tout entier, bien que les observations qu’il contient soient toujours aussi vraies, toujours aussi utiles à consulter, bien qu’elles reposent sur une étude consciencieuse du cœur humain.

C’est à ce titre que la Théorie des sentiments moraux mérite de vivre. « Quand on parcourt le livre de Smith, dit un juge compé-