Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/132

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diose effrayant, sont, en Grèce, bien plus petites, plus faibles et sous tous les rapports moins menaçantes pour l’homme… Ces différences frappantes dans les phénomènes matériels des deux contrées ont donné lieu à des différences correspondantes dans leurs associations intellectuelles… Dans l’Inde, il y avait des obstacles de tout genre si nombreux, si effrayants, et en apparence si inexplicables, que les difficultés de l’existence ne pouvaient se résoudre que par un appel constant à l’agence directe de causes surnaturelles. Ces causes étant au delà de la portée de l’intelligence, les ressources de l’imagination étaient continuellement mises en jeu pour essayer de les étudier : l’imagination elle-même se fatiguait au delà de ses forces, son activité devenait dangereuse, elle empiétait sur l’intelligence et l’équilibre général était détruit. En Grèce, les circonstances étant différentes, amenèrent des résultats tout contraires. En Grèce, la nature était moins dangereuse, moins importune, moins mystérieuse que dans l’Inde. Aussi, l’esprit humain y était moins épouvanté, moins superstitieux ; on commença à étudier les causes naturelles ; pour la première fois, la science physique devint possible, et l’homme, réalisant peu à peu le sentiment de sa propre puissance, chercha à étudier les événements avec une hardiesse impossible dans ces autres contrées où la pression de la nature troublait son indépendance et suggérait des idées incompatibles avec les lumières. »

Ainsi, d’après Buckle, c’est l’imagination qui domine dans les civilisations tropicales ; dans les civilisations européennes, c’est l’entendement. Smith n’avait pas fait cette distinction : les documents manquaient d’ailleurs, à son époque, sur l’histoire des peuples orientaux, comme il l’a fait remarquer dans l’un des extraits que nous avons cités, et il ne pouvait prétendre qu’à écrire une histoire de la civilisation européenne, dans laquelle il voyait, comme Buckle après lui, l’empiètement continu de l’esprit humain sur le monde extérieur.

Mais, pour une histoire de la civilisation européenne, le point de vue du philosophe de Glasgow était parfaitement juste ; il n’a pas été condamné, et, si Buckle remarque que, dans les civilisations tropicales, c’est l’histoire de la nature qu’il faut suivre pour écrire l’histoire du développement de l’esprit humain, il