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et qui ne pouvait guère manquer par là, dit-il[1], de convenir à un homme laborieux et rompu aux affaires, accoutumé depuis longtemps à régler les différents départements de l’administration publique et à établir les formalités et les contrôles nécessaires pour les contenir chacun dans leurs attributions respectives. Il chercha à régler l’industrie et le commerce, d’un grand peuple sur le même modèle que les départements d’un bureau ; et, au lieu de laisser chacun se diriger à sa manière dans la poursuite de ses intérêts privés, sur un vaste et noble plan d’égalité et de justice, il s’attacha à répandre sur certaines branches d’industrie des privilèges extraordinaires, tandis qu’il chargeait les autres d’entraves non moins extraordinaires. » Aussi notre législation industrielle fut pleine de contre-sens et d’anomalies, et l’institution des corporations, excellente dans son principe, devint une arme funeste de tyrannie et d’oppression.

La réglementation était encore plus considérable en Angleterre que chez nous ; il était défendu de cumuler les professions, même les plus connexes (le tissage de la toile unie et le tissage des étoffes de soie, par exemple) ; les statuts d’apprentissage y étaient très restrictifs, et la législation sur les pauvres, en attachant l’ouvrier à sa paroisse, empêchait en réalité les travailleurs de se porter, suivant leur intérêt, aux divers endroits où le manque de bras leur promettait un salaire plus rémunérateur.

Toutes ces restrictions, avec leurs causes et leurs effets, ont été fort nettement exposées dans les Recherches[2], et Smith concluait que la réforme la plus urgente devait être celle de l’organisation industrielle. Toutefois, on peut regretter qu’en proclamant avec autant d’éloquence le principe supérieur de la liberté du travail, le célèbre économiste n’ait cru devoir parler qu’au nom de l’intérêt seul : le disciple d’Hutcheson aurait dû, faire intervenir en même temps la loi morale et invoquer l’idée de justice, en montrant que si le travail est pour l’homme une nécessité, il doit par cela même être libre.

  1. Rich., liv. IV, ch. VIII (t. II, p. 309).
  2. Rich., liv. I, ch. X (t. I, p. 176-186).