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qu’aux citoyens. Les taxes qu’il lève ne sont légitimes qu’autant qu’elles ont pour objet de satisfaire, non seulement un intérêt général, mais un véritable besoin que l’initiative privée est impuissante à contenter, et qu’autant qu’elles sont strictement proportionnées à la dépense nécessaire. Hors de ces limites, les impôts ne sont pas seulement anti-économiques, ils sont aussi injustes ; et si le gaspillage et la prodigalité sont funestes à l’État comme aux individus, ils sont encore plus coupables de la part d’un gouvernement qui, ainsi qu’un tuteur malhonnête, dissipe le revenu de l’incapable qu’il est chargé de protéger.

Smith a parfaitement compris toute l’importance de ce sujet, et il a jugé qu’il méritait une longue étude. En effet, si pour les consommations privées, on peut se reposer sur l’intérêt personnel et l’esprit de prévoyance naturel à l’homme, pour engager les particuliers à l’économie, il n’en est pas du tout ainsi des consommations publiques. Pour les gouvernements, l’intérêt personnel n’existe pas, et la tendance au gaspillage est bien plus dangereuse en ce qu’elle manque de ce contre-poids immédiat et nécessaire qui est la meilleure garantie contre les entraînements des individus[1]. La seule sauvegarde du revenu annuel consiste alors dans les sentiments d’équité et de justice de ceux qui dirigent la fortune publique ; mais les préjugés en cours ont bien souvent dissimulé, aux yeux mêmes des hommes politiques, l’injustice de leurs règlements, ou servi de prétexte aux mesures les plus iniques. Le philosophe écossais a donc pris à tâche de dissiper ces erreurs, et, en montrant au peuple quel doit être le rôle de l’État dans l’administration de ses deniers, en prouvant en même temps aux gouvernants que l’intérêt du Trésor est partout conforme, en définitive, aux intérêts de la nation comme aux principes de la justice, il a rendu un immense service à l’humanité.

  1. « Les princes et les ministres sont toujours, et sans exception, les plus grands dissipateurs de la société. Qu’ils surveillent seulement leurs propres dépenses, et ils pourront s’en reposer sur chaque particulier pour régler les siennes. Si leurs propres dissipations ne viennent pas à bout de ruiner l’État, certes celles des sujets ne le ruineront jamais. » Rich., liv. II, ch. III, t. I, p. 434.)