Page:Delavigne - Œuvres complètes, volume 4, Didot, 1881.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les cultes renaissants, étonnés d’être frères,
Sur leurs autels rivaux, qui fumaient à la fois,
Pour toi confondaient leurs prières.

« Conservez, disaient-ils, le vainqueur du Thabor,
Conservez le vainqueur du Tibre ; »
Que n’ont-ils pour ta gloire ajouté plus encor :
« Dieu juste, conservez le roi d’un peuple libre ! »

Tu régnerais encor si tu l’avais voulu.
Fils de la Liberté, tu détrônas ta mère.
Armé contre ses droits d’un pouvoir éphémère,
Tu croyais l’accabler, tu l’avais résolu !
Mais le tombeau creusé pour elle
Dévore tôt ou tard le monarque absolu :
Un tyran tombe ou meurt ; seule elle est immortelle.

Justice, droits, serments, peux-tu rien respecter ?
D’un antique lien périsse la mémoire !
L’Espagne est notre sœur de dangers et de gloire ;
Tu la veux pour esclave, et n’osant ajouter
À ta double couronne un nouveau diadème,
Sur son trône conquis ton orgueil veut jeter
Un simulacre de toi-même.

Mais non, tu l’espérais en vain.
Ses prélats, ses guerriers l’un l’autre s’excitèrent,
Les croyances du peuple à leur voix s’exaltèrent.
Quels signes précurseurs d’un désastre prochain !
Le beffroi, qu’ébranlait une invisible main,
S’éveillait de lui-même et sonnait les alarmes ;
Les images des preux s’agitaient sous leurs armes ;
On avait vu des pleurs mouiller leurs yeux d’airain ;
On avait vu le sang du sauveur de la terre
Des flancs du marbre ému sortir à longs ruisseaux ;
Les morts erraient dans l’ombre, et ces cris : guerre ! guerre !