Page:Delbos - La Philosophie pratique de Kant.djvu/49

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ébranlé des rochers ! Il vous prenait l'âme, vous pénétrait jusque dans la moelle des os. Pas plus qu’on ne peut, l’œil ouvert, échapper à l’éblouissement de l'éclair, on ne pouvait échapper à la puissance qu’il avait d’émouvoir[1]. » Il était pleinement l’homme de son ministère. Il travaillait sans relâche à convertir les consciences égarées, à éveiller dans les consciences droites le sentiment d’une perfection toujours plus haute à poursuivre ; c’était surtout par l’autorité de la discipline morale qu’il les excitait à la pensée de leur salut. Il allait à elles, non par des formules générales et lointaines, mais de sa personne, multipliant volontiers les visites et les relations directes : de là vint l’intérêt tout particulier qu’il témoigna à la famille de Kant. Au collège Frédéric, il veilla à ce que les études fussent aussi solidement organisées que possible : il sut y attirer les maîtres les plus distingués, comme Schiffert, réputé pour sa grande valeur pédagogique, comme Heidenreich, dont Kant se rappelait plus tard avec reconnaissance l’enseignement philologique, comme Borowski, comme Herder : ce fut sous lui que le collège s’éleva à sa plus haute prospérité. Mais il s'appliquait surtout à maintenir en vigueur la règle d’après laquelle les élèves devaient être sans cesse avertis que leurs études se faisaient sous le regard de Dieu partout présent : les instructions religieuses, les exhortations à la vie intérieure, les pratiques de dévotion occupaient une très grande place dans le programme et le régime du collège, devenu par ses soins une sorte d’établissement modèle du piétisme.

Est-ce cette tendance prédominante au gouvernement des âmes et à l’action qui l’avait porté à se ménager l’usage de toutes les ressources spirituelles que lui offraient ensemble piétisme et rationalisme ? Toujours est-il qu’au lieu de lui découvrir leur antinomie les deux conceptions s’étaient accordées en lui sans préjudice apparent pour

  1. Dans Benno Erdmann, op. cit., p. 29.