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LES FABLES
LES MEMBRES ET L’ESTOMAC (III,2).


Guillaume de la Perrière traduit à sa façon, avec des longueries habituelles aux écrivains du XVIe siècle, cet apologue tant de fois cité : « Messenius estant bien instruict de sa charge, se transporta au Mont Sacré, où estant devant le dict peuple, sans faire plus long exorde (voulant adapter son oraison à la qualité des auditeurs) leur narra l’ancien apologue de la sédition de tous les membres du corps humain, contre le ventre, par semblables paroles. Jadis, dit-il, les membres du corps humain avoient chacun son conseil, et son advis à part, et n’estoient pas tous d’un consentement, comme ils sont à présent. Advint qu’iceux voyant qu’ils estoient toujours en travail continuel, pour nourrir le ventre, et que le ventre ne faisoit rien que se reposer et faire grand chere, aux despens et labeur des autres membres, et que s’il se vouloit remplir il falloit nécessairement qu’il travaillast comme eux, et de faict feirent entr’eux un monopole, qu’ils ne luy donneroient plus à manger. Les pieds dirent qu’ils ne tracasseroient plus pour aller chercher victuailles : les mains et bras dirent qu’ils n’apporteroient plus le morceau à la bouche : la bouche dit qu’elle ne recevroit plus la viande : les dents dirent qu’elles ne macheroient plus pour nourrir le ventre oisif. Or estant les dicts membres ainsi émeus contre le ventre : et le voulant laisser mourir de faim, ils sentirent peu a peu qu’ils se debilitoient eux-mêmes, et devindrent si maigres qu’a peine les pieds pouvoient soustenir le corps :