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DE LA FONTAINE

il leur plaisoit luy sauver la vie, et fut finablement contraint jetter en l’eaue toute sa marchandise. Et, n’eust esté la clémence et miséricorde des dieux marins Neptunus, Eolus, Triton et autres, lesquelz furent commeus a pitié par les veulx et promesses qu’il faisoit, a paine fust venue la nef toute vuyde a port de salut, ce qu’elle fist. La eussiés veu nostre nouveau maistre de navire bien estonné, car il devoit desja trois fois plus qu’il n’avoit vaillant, et en effect, il avoit perdu tout le sien et de l’autrui, et convint qu’il se mist a son premier mestier de pasteur. Ung jour advint qu’il estoit sur le rivage de la mer ou il gardoit ses bestes, et commença a contempler que la mer estoit tant belle et tant sereine, sans vent ni vague, comme elle estoit lorsque appétit lui estoit prins de estre marinier, et tantost commença a dire, en adressant la parole a la dicte mer : « Dame, vous estes bien subtile. Vous me faictes belle chiere et beau semblant, affin que je vous retourne veoir et que je me mecte sur vous en faict de marchandise, comme j’ai faict par cy devant. Certes ne vous y attendez plus, car trop m’avés plumé pour une seconde fois ».

(Apol. de Laurent Valla, 174, Marchessou.)


J’ai cru bon de donner une fois, par exception, le texte latin de Valla, afin que l’on pût juger avec quelle liberté amusante Guill. Tardif le développe et fait sien le sujet.