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LES FABLES

ne l’eut songé, qu’il deviendroit marchant sur mer et qu’il sçauroit que c’estoit que de chevaucher les poissons, mesmes que trop longtemps avoit-il esté pasteur et que rien ne scet que hors ne va. Et assez tost, des le jour de lendemain, mena tout ce qu’il avoit vaillant et de l’autrui au marché, et fist de la livre XV sols pour devenir marchant par mer Et en effect, après qu’il eust ainsi tout vendu, il loua certaine navire, laquelle il chargea et freta de tout son vaillant et de celuy de ses voisins, et fust maistre de navire avant que serviteur. Quant il eust nagé par la mer quelque peu de temps, survint une tempeste si terrible et si merveilleuse qu’il sembloit que le ciel et la mer feussent en feu, et les vagues de la mer se enflerent si grosses qu’il sembloit a nostre nouveau marchant que la navire descendit maintenant aux abismes et que incontinent alast touchier jusques au ciel. Mesmement pouvoit sembler que la hune de la navire puisast à chaque coup en l’eaue, et en effect, descendit si grant quantité de eaue sur lui et ses compaignons que ceulx qui estoient en la pompe ne povoient vuider la moitié de l’eaue qui entroit dedans le bort. Cordes mast et autres instrumens de navire, crioyent et croissoient si horriblement qu’il sembloient que tous deust rompre, et eust bien voulu estre nostre nouveau marchant a garder ses brebis et ses moutons, si possible eust esté, voire et lui deust il avoir cousté tout ce qui dedans la navire estoit. Il appeloit les dieux et déesses à son ayde. La cire d’un royaulme n’eut pas souffi a faire et payer les veuz lesquelz il donna aux dieux et déesses, se