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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

la meilleure manière d’exploiter son prochain. Ce vieillard avait un nez camus, des lèvres très-minces et des yeux microscopiques très-enfoncés, de plus un teint basané et d’énormes épaules. Autour des joueurs, deux ou trois petits garçons de dix à douze ans fumaient leur pipe, la casquette sur l’oreille, et comme déjà blasés par tous les plaisirs. Dans un coin, un musicien embrassait la taille d’une femme affreuse, assise sur ses genoux, et se servait de son violon en en appuyant l’extrémité sur les reins de cette femme et en faisant agir son archet de l’autre main. Alors la danse qui avait cessé à notre arrivée recommença. C’était la gig.

Afin de donner l’exemple, le fils du maître de la maison, un des enfants qui fumaient, se mit, avec un sérieux imperturbable et sa longue pipe à la bouche, vis-à-vis d’un grand gaillard de cinq pieds six pouces, et le ballet s’organisa. Un léger trémoussement formé par l’extrémité du pied placé d’abord à terre et ensuite le talon, et cela alternativement pour chaque pied, une augmentation graduelle de rapidité dans ce mouvement jusqu’à une célérité inconcevable, puis un saut terminé par une pirouette et un chassé-croisé, voilà en gros cette danse sauvage. Quand un des deux danseurs est fatigué, un autre rentre, comme lorsque les enfants sautent à la corde, et ainsi de suite.

Au son du violon, plusieurs des femmes que nous avions vues dans le cabaret accoururent et prirent successivement part à leur tour à la gig, et au bout d’un quart d’heure, chacun avait fait son pas. Le petit garçon du cabaretier déployait surtout une vivacité de mouvements et un flegme admirables. Les verres d’eau-de-vie et de gin circulèrent, la joie devint générale, se traduisant par des rires gutturaux et rauques ou des éclats de voix glapissants.

— Ne perdons pas notre temps ici, observa un des inspecteurs, et sortons. Il paya la dépense et nous gagnâmes la rue en traversant de nouveau le cabaret, dont l’aspect n’avait pas changé.

— Tous les gens que vous venez de voir, dit-il, sont des repris de justice et des voleurs de profession. Il n’en est pas un qui n’ait passé en cours d’assises au moins trois ou quatre fois. Les femmes sont leurs maîtresses ou des prostituées, de plus des receleuses ; en outre, elles volent pour leur compte. Le maître de la maison qui tient ce tripot est lui-même un voleur, sa femme est prostituée, sa fille prostituée, et le