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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

petit garçon que vous avez vu danser le premier a déjà été condamné trois fois ; il a douze ans à peine.

— Voilà une jolie société ! observai-je.

— Ce petit garçon est un sujet très-distingué. Vous avez dû voir quelles mains imperceptibles il possède, eh bien ! ces petites mains en valent dix comme les autres. Il n’y a pas une foule, Monsieur, dont ce jeune homme n’ait retourné toutes les poches avant que vous ayez seulement pu vous apercevoir de sa présence ; aussi est-il très-considéré parmi ses compagnons.

— Charmant enfant ! et la belle dame que tenait sur ses genoux le joueur de violon ?

— C’est la fille de la maîtresse de la maison.

— Merci bien, — et nous remontâmes dans le fiacre que nous venions de rejoindre au bout de la rue.

Afin de varier les impressions singulières que la vue de ce cabaret m’avait laissées, on me conduisit successivement dans plusieurs cafés chantants, à l’American Wizard, au Brown Bear, puis au Mahogany Bar, dont je dirai quelques mots, le Brown Bear et l’autre étant à peu près semblables.

Ce sont des petites salles de spectacle imperceptibles avec des banquettes transversales sur le dos desquelles une planchette reçoit les pots de bière et les verres d’eau-de-vie. Il n’y a là ni loges, ni stalles d’orchestre, une seule galerie supérieure entoure la salle et aboutit à la scène. Cette scène a environ douze pieds de largeur sur quatre de profondeur depuis l’extrémité jusqu’à la rampe. Trois violons et une basse composent l’orchestre, et de temps en temps des chanteurs viennent vociférer des romances de circonstance dont les lourdes plaisanteries et les allusions obscènes peu dissimulées réjouissent infiniment ce public ordinaire de filles perdues, de matelots et de vagabonds. À Mahogany Bar, nous tombâmes sur une de ces romances : une jeune femme, une paysanne assez bien tenue, regrette son amant embarqué à bord d’un bâtiment de la marine de Sa Majesté Britannique ; elle se souvient des beaux jours d’amour qui ont précédé le départ de son bien-aimé, elle les regrette, elle pleure ; son bien-aimé ne revient pas. « Oh ! combien l’absence est dure ! Oh ! qu’il était beau ! » etc., etc. Tout cela en tenues fort explicites et en gestes plus explicites encore. Tout à