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NOTICE
BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE
SUR J. DELILLE,
PAR MADAME WOILLEZ.

Jacques Delille, dont le talent enchanteur a répandu tant d’éclat sur la poésie française, fut privé, dès son berceau, de toutes les douceurs que l’heureuse enfance trouve d’ordinaire dans les affections de famille. Il naquit dans la Limagne, le 22 juin 1738, à Aigue-Perse, près de Clermont, de Marie-Hiéronyme Bérard, qui appartenoit à la famille de l’illustre chancelier de l’Hospital, et fut reconnu sur les fonts baptismaux par M. Montanier, avocat au parlement, qui mourut peu de temps après, lui laissant pour tout héritage une pension viagère de cent écus.

Ce fut avec ce modique secours qu’il vint à Paris, commencer ses études au collège de Lisieux, où, bientôt, son excellent caractère, son application, et surtout ses progrès, lui gagnèrent l’amitié des professeurs, qui se plurent à seconder ses heureuses dispositions. Encouragé par des succès, qui déjà présageoient ceux qu’il devoit obtenir un jour dans la littérature, le jeune élève sentit peut-être moins l’isolement auquel le réduisoit le malheur de sa naissance, et puisa dans cet isolement même le courage nécessaire pour se créer une existence indépendante des caprices de la fortune et des secours de la parenté.

Forcé de se livrer d’abord à l’instruction publique, il eut à vaincre, à sou entrée dans la carrière, tous les dégoûts attachés à l’emploi de maître élémentaire au collège de Beauvais ; et celui qui devoit un jour enrichir notre langue poétique, dit un de ses panégyristes, se vit réduit à donner à des enfants des leçons de syntaxe latine.

Cependant, la destruction de l’ordre des jésuites ayant laissé le collège d’Amiens à la disposition de l’autorité séculière, Delille y fut appelé en qualité de professeur d’humanités et pasassa ensuite à la chaire de troisième au collège de la Marche, à Paris. Ce fut pendant qu’il remplissoit ces diverses fonctions, qu’il travailla à son immortelle traduction des Géorgiques et à celle de l’Essai sur l’Homme de Pape, qui ne parut que plusieurs années après sa mort.

Jusqu’alors Delille n’étoit connu, comme poëte, que par quelques pièces fugitives, qui s’oublient aussi vite que la circonstance qui les fait naître. On distingua cependant, dans son Épître adressée à M. Laurent, à l’occasion d’un bras artificiel que cet habile mécanicien avoit fait pour un soldat invalide, une merveilleuse aptitude à rendre, avec autant de fidélité que d’élégance, les procédés des arts mécaniques dans une langue accusée longtemps d’être à-la-fois pauvre et dédaigneuse. Plusieurs fragments des Géorgiques, qui se répandirent vers cette époque dans le monde littéraire, donnèrent enfin la mesure du talent du jeune poëte.

Louis Racine, qu’il avoit consulté dès le commencement de son travail, avoit d’abord blâmé l’audace d’un tel projet. « La traduction des Géorgiques ! s’étoit-il écrié d’un ton sévère, c’est la plus téméraire des entreprises ! Mon ami Le Franc l’a tentée, et je lui ai prédit qu’il échoueroit. » Ayant consenti néanmoins à entendre la lecture que le jeune homme lui proposoit, non-seulement il avoit cessé de con-