Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/143

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Et soudain, revenant dans ses routes chéries,
Il promenoit en paix ses douces rêveries.
Hélas ! Pourquoi faut-il que celui dont les chants
Enseignent l’art d’orner et d’habiter les champs,
Ne puisse encor jouir des objets qu’il adore !
O champs, ô mes amis ! Quand vous verrai-je encore ?
Quand pourrai-je, tantôt goûtant un doux sommeil
Et des bons vieux auteurs amusant mon réveil,
Tantôt ornant sans art mes rustiques demeures,
Tantôt laissant couler mes indolentes heures,
Boire l’heureux oubli des soins tumultueux,
Ignorer les humains et vivre ignoré d’eux !
Vous, cependant, semez des figures sans nombre ;
Mêlez le fort au doux et le riant au sombre.
Quels qu’ils soient, aux objets conformez votre ton ;
Ainsi que par les mots, exprimez par le son.
Peignez en vers légers l’amant léger de Flore ;
Qu’un doux ruisseau murmure en vers plus doux encore.
Entend-on d’un torrent les ondes bouillonner ?
Le vers tumultueux en roulant doit tonner.
Que d’un pas lent et lourd le bœuf fende la plaine ;
Chaque syllabe pèse, et chaque mot se traîne.
Mais si le daim léger bondit, vole et fend l’air,
Le vers vole et le suit, aussi prompt que l’éclair.
Ainsi de votre chant la marche cadencée
Imite l’action et note la pensée.