Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/53

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Poursuivi, fugitif, entouré d’ennemis,
Enfin dans son malheur il songe à ses amis.
Jadis de la forêt dominateur superbe,
S’il rencontre des cerfs errans en paix sur l’herbe,
Il vient au milieu d’eux, humiliant son front,
Leur confier sa vie et cacher son affront.
Mais, hélas ! Chacun fuit sa présence importune
Et la contagion de sa triste fortune :
Tel un flatteur délaisse un prince infortuné.
Banni par eux, il fuit, il erre abandonné.
Il revoit ces grands bois, si chers à sa mémoire,
Où cent fois il goûta les plaisirs et la gloire,
Quand les bois, les rochers, les antres d’alentour
Répondoient à ses cris et de guerre et d’amour,
Et qu’en sultan superbe à ses jeunes maîtresses
Sa noble volupté partageoit ses caresses.
Honneur, empire, amour, tout est perdu pour lui.
C’est en vain qu’à ses maux prêtant un noble appui,
D’un cerf tout jeune encor la confiante audace
Succède à ses dangers et s’élance à sa place.
Par les chiens vétérans le piége est éventé.
Du son lointain des cors bientôt épouvanté,
Il part, rase la terre ; ou, vieilli dans la feinte,
De ses pas, en sautant, il interrompt l’empreinte ;
Ou, tremblant et tapi loin des chemins frayés,
Veille et promène au loin ses regards effrayés,