Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/86

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Au sein d’un doux abri peut, sous ton ciel vermeil,
Avec tes orangers partager ton soleil,
Respirer leurs parfums, et, comme leur verdure,
Même au sein des frimas défier la froidure !
Toutefois le bel art que célèbrent mes chants
Ne borne point sa gloire à féconder les champs.
Il sait, pour employer leurs richesses fécondes,
Mettre à profit les vents et les feux et les ondes,
Dompter et façonner et le fer et l’airain,
Transformer en tissus et la laine et le lin.
Loin de ces verts coteaux, de ces humbles campagnes,
Venez donc, suivez-moi vers ces âpres montagnes,
Formidables déserts d’où tombent les torrens,
Où gronde le tonnerre, où mugissent les vents.
Monts où j’ai tant rêvé, pour qui, dans mon ivresse,
Des plus rians vallons j’oubliois la mollesse,
Ne pourrai-je encor voir vos rocs majestueux,
Entendre de vos flots le cours tumultueux ?
Oh ! Qui m’enfoncera sous vos portiques sombres,
Dans vos sentiers noircis d’impénétrables ombres ?
Mais ce n’est plus le temps : autrefois des beaux arts,
Sur ces monts, sur ces rocs, j’appelois les regards ;
C’est au cultivateur qu’aujourd’hui je m’adresse ;
J’invoque le besoin, le travail et l’adresse.
Je leur dis : voyez-vous bondir ces flots errans ?
Courez, emparez-vous de ces fougueux torrens ;