Page:Delille - Les Jardins, 1782.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La gaieté, la tristesse, et le trouble et l’effroi.
Et ! qui l’a mieux connu, l’a mieux senti que moi ?
Souvent, je m’en souviens, lorsque les chagrins sombres,
Que de la nuit encore avoient noircis les ombres,
Accabloient ma pensée et flétrissoient mes sens,
Si d’un ruisseau voisin j’entendois les accents,
J’allois, je visitois ses consolantes ondes.
Le murmure, le frais de ses eaux vagabondes
Suspendoient mes chagrins, endormoient ma douleur,
Et la sérénité renaissoit dans mon cœur.
Tant du doux bruit des eaux l’influence est puissante !

Pour prix de ce bienfait, toi, dont le cours m’enchante,
Ruisseau, permets que l’art, sans trop t’enorgueillir,
T’embellisse à nos yeux, si l’art peut t’embellir.

Un ruisseau siéroit mal dans une vaste plaine ;
Son lit n’y traceroit qu’une ligne incertaine.
Modestes, au grand jour se montrant à regret,
Ses flots veulent baigner un bocage secret.
Son cours orne les bois ; les bois font ses délices.
Là, je puis à loisir suivre tous ses caprices,
Son embarras charmant, sa pente, ses replis,
Le courroux de ses flots par l’obstacle embellis.