Page:Delluc - Monsieur de Berlin, 1916.djvu/19

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Elle ajouta :

— Il avait peur, tu sais.

— Peur de quoi ? dit Claude. Ah ! oui. Eh bien, il est payé de sa peur, je crois, et je sens qu’il est bien mon ami, celui-là.

Il dit encore avec béatitude :

— Ah ! mon frère, ma femme, comme il fait beau vivre… Comme il fait beau mériter de vivre.

Puis il rit :

— Anna Spring, proclama-t-il, j’aime votre maison, votre salle à manger et votre cuisinière. Anna Spring, j’ai de l’estime pour vous. Et toi, me dit-il, et toi, écoute, ah ! toi, bon Dieu de tonnerre de tout ce qu’on veut, je suis content que tu sois là. Tu vas nous raconter des histoires. Ne parlons pas de moi surtout. Peut-être si le déjeuner est très bon, mais, là, très bon, — et le malheur est que c’est possible — peut-être te dirai-je comment les Allemands s’y prennent pour tuer le pauvre monde…

Je connus de nobles heures auprès de ces deux êtres qui ne faisaient qu’une joie. J’avais, à les voir, cette impression presque désespérante qui accable tous les écriveurs devant le trop beau. Ainsi, parfois, ceux dont la vie est une quête continuelle de l’émotion des autres, ont le