Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/118

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— Ah ! il est venu aujourd’hui ? interrompit Alix, surprise.

Depuis de longs mois, Even ne paraissait pas aux repas et, à partir de ce soir où Alix l’avait vu dans son humiliant état, elle ne l’avait plus aperçu, même de loin, jusqu’au jour précédent.

— Oui, mon oncle est venu déjeuner. Quand il a vu comme Mme Orzal brusquait grand-mère, il a pris un air très mécontent et j’ai cru qu’il allait se fâcher… Pas du tout, il s’est assis tranquillement, a commencé à manger et n’a pas prononcé un mot durant tout le repas. Ce qui est très étonnant, par exemple, c’est qu’il a bu très peu et pas du tout d’eau-de-vie…

Oh ! les enfants, ces observateurs terribles ! Même en veillant à chaque heure du jour sur son frère, Alix n’avait pu l’empêcher de remarquer la déplorable passion du père et du fils. Si Gaétan devait vivre longtemps dans cette demeure, qui sait si l’exemple n’opérerait pas sur lui sa funeste influence ?

Il était temps, grand temps d’enlever l’enfant à ce milieu, et cependant de quelle manière y parviendrait-elle ?



En traversant le jardin, Alix s’arrêta, surprise, près de la fenêtre du salon Louis XVI ; il s’en échappait le début d’un nocturne de Chopin, joué de façon tourmentée, sauvage et magnifique.

Doucement, Alix écarta les battants de la fenêtre et pencha un peu la tête… Even était assis devant l’instrument. La tête haute, le regard perdu dans une contemplation douloureuse, il laissait ses mains errer sur les touches d’ivoire.

« Oh ! quel bonheur, mon Dieu ! songea Alix