Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Even, oubliant son immense fatigue, s’était levé d’un bond et se penchait vers son neveu.

— C’est Maublars, dis-tu ? Le misérable lâche… Mais nous éclaircirons cela plus tard. Voici le flot qui nous gagne, et, dans quelques instants, nous ne pourrions plus passer. Vite, à la maison !

Le retour fut infiniment pénible pour ces êtres brisés de lassitude et d’émotion, pour Alix surtout, que ne soutenaient plus l’anxiété et la force nerveuse de tout à l’heure. Le vent implacable la secouait avec furie, attachant à son corps ses vêtements mouillés par les embruns et par la vague qu’elle avait reçue en plein en s’élançant à l’appel du sauveur de Gaétan. Maintes fois, ses jambes fléchissantes furent prêtes à lui refuser leur aide, et, cette fois, la main secourable d’Even n’était plus là, car celui-ci, malgré son propre épuisement, devait porter Gaétan, anéanti de fatigue… Dans la nuit intense, les pieds trébuchaient, s’enfonçaient dans les flaques d’eau ou glissaient sur le goémon humide, et ce trajet relativement court leur parut à tous durer un siècle.

Le parc était atteint enfin. Sous les jeunes arbres tordus sans relâche par la tempête, un certain calme régnait qui permit à Even et à ses compagnes de hâter le pas… Ils arrivaient à l’orée du parc lorsqu’un coup de vent d’une violence inouïe les rejeta en arrière. Des branches craquèrent autour d’eux, les arbres plièrent en gémissant et, du côté du manoir, le bruit d’un écroulement terrible se fit entendre.

Even, à demi aveuglé par le vent, s’élança dans cette direction et projeta le rayon de sa lanterne vers l’aile droite du vieux logis. Tout un pan de la tour de la Comtesse venait de s’effondrer…

— C’est la tour maudite !… et justement là où se trouve votre chambre, monsieur Even ! s’écria

185