Page:Delly - Les deux fraternités, ed 1981.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
LES DEUX FRATERNITÉS

sommes pour la liberté, nous autres, hein ! les amis ?

— J’te crois ! dit un grand blond dont la langue s’empâtait déjà. Nous ne sommes pas des bourgeois qui s’empiffrent tout en voulant empêcher le peuple de s’amuser ! Vive la liberté !… et à bas les riches !

— Bien parlé, Paulin !… Allons, je paie une tournée. Nous boirons à l’avènement de la sociale, à l’écrasement des bourgeois, au règne du prolétariat et au partage de l’infâme capital. Ça va ?

— Ça va !… Vive Louviers ! Vive la sociale !

— Ah ! quand donc verrons-nous tout ça ! soupira un gros homme qui avait l’alcool mélancolique.

— Bientôt, va, mon vieux ! dit Prosper en lui tapant sur le ventre. Nous démolirons toute cette vieille société pourrie et nous mettrons à la place quelque chose de neuf, de chic… je ne te dis que ça ! Ce sera la grande fraternité universelle, le bonheur pour tous. Plus de riches, plus de pauvres, tous égaux !

Depuis qu’il était entré, il se trouvait le centre de cette petite réunion d’ouvriers. Évidemment, il exerçait sur eux un certain ascendant… Et qui l’aurait entendu parler, d’une voix sonore, en phrases redondantes et creuses, déclamer des menaces aux patrons ou prédire d’un air inspiré la domination prochaine du prolétariat, aurait compris l’influence que ce jeune homme intelligent, visiblement assez instruit et doué d’une