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Page:Delly - Les deux fraternités, ed 1981.djvu/17

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LES DEUX FRATERNITÉS

sorte d’éloquence entraînante, exerçait sur ces hommes de mentalité moindre, bien préparés déjà par les théories de leurs journaux ou des réunions socialistes, et dont l’alcool annihilait la volonté et la faculté de réflexion.

Quand Prosper Louviers, au bout d’une heure, se leva pour se retirer, il embrassa d’un rapide coup d’œil ceux qui l’entouraient, tous plus ou moins allumés… Et dans les yeux pâles du jeune homme demeuré seul en possession de toutes ses facultés passa une lueur où se mêlaient le dédain, la satisfaction orgueilleuse, l’ambition sourde… Il sortit du débit de vin et se remit en marche sous la même petite pluie fine que tout à l’heure. Bientôt, il prit une rue transversale, la longea cinq minutes et entra sous la voûte d’une porte cochère. Il traversa la cour encombrée de barils, entourée de quatre corps de logis aux fenêtres nombreuses, la plupart éclairées à cette heure qui était celle du repas… Prosper, louvoyant dans la presque obscurité entre les barils, en homme habitué aux aîtres, se dirigea vers le bâtiment de droite et entra dans un étroit couloir au sol de brique effritée, aux murs écaillés par l’humidité.

Plusieurs portes se faisaient face. L’une d’elles s’ouvrit au moment où Prosper passait ; deux femmes apparurent : l’une, d’une quarantaine d’années peut-être, petite et chétive, son visage fatigué et très doux encadré entre les tuyaux d’un bonnet noir ; l’autre, une jeune fille grande et mince, mise comme une modeste ouvrière, et