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LES DEUX FRATERNITÉS

observateur eût pu discerner pourtant une sourde anxiété.

Il avait une voix sonore, les phrases à effet ne lui manquaient pas, le geste venait toujours parfaitement à l’appui des paroles. De plus, il avait conservé cet ascendant qu’il possédait déjà, n’étant encore qu’ouvrier, sur ses camarades — ascendant dû à une intelligence forte et lucide et à une volonté dominatrice qui savait se dissimuler pour ne pas effaroucher les susceptibilités, mais qui ne s’en exerçait que plus sûrement sur celle d’autrui.

Cette fois, l’auditoire écoutait. Des applaudissements nourris soulignaient les périodes particulièrement lyriques.

— … Oui, citoyens, nous vous obtiendrons la grande, l’entière liberté, l’égalité sociale qui vous délivrera du douloureux servage pesant depuis des siècles sur le malheureux prolétariat français. Nous balayerons ces restes des vieilles institutions d’autrefois, des superstitions encore existantes ; nous verrons enfin régner sur la société nouvelle la fraternité universelle…

M. de Mollens se leva, les bras croisés, sa belle tête énergique tournée vers le député, et sa voix nette, très mordante, lança :

— Si cette fraternité est dans le même genre que la vôtre, Prosper Louviers, je crois que le peuple pourra attendre longtemps avant de voir l’âge d’or promis !

En une seconde, les deux hommes se mesurèrent du regard. Une colère intense luisait au