Aller au contenu

Page:Delly - Les deux fraternités, ed 1981.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
LES DEUX FRATERNITÉS

— Oh ! si les autres veulent vous en empêcher, ils vous maltraiteront, vous blesseront peut-être…

Cyprien prit la main de sa femme et la serra doucement entre les siennes.

— Mais non, mais non, ils ne sont pas si méchants que ça. Et nous voulons garder notre liberté, nous autres. Qu’ils fassent grève si ça leur plaît, pour obéir aux Louviers et autres coquins, mais nous n’avons pas du tout envie de les imiter. Car c’est ce Prosper qui les a excités, les malheureux, par ses discours incendiaires, par ses articles publiés dans l’Espoir des peuples. Le misérable !… Tiens ! n’en parlons plus, il me fait bouillir le sang dans les veines ! Sers-nous vite la soupe, Micheline, j’ai très faim.

Malgré cette assertion, Cyprien ne fit pas montre de l’appétit accoutumé, et son entrain forcé ne dissimulait qu’avec peine sa préoccupation.

Ni lui ni Micheline ne fermèrent guère l’œil de la nuit. Une sourde inquiétude tourmentait la jeune femme, malgré tous ses efforts pour la calmer. Quant à Cyprien, il se demandait avec quelque anxiété comment se passerait la journée du lendemain, car il n’avait pas dit à sa femme que les grévistes avaient déclaré vouloir empêcher par tous les moyens leurs camarades de travailler. Et ces hommes, excités par l’alcool et par les encouragements des agitateurs, étaient réellement capables de tout.

Au matin, Cyprien partit à l’heure accoutu-