Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

front est bombé, l’œil noir, une cravate d’homme un peu lâche tombe sur son col rabattu ; au-dessus du dessin sont écrits, à l’encre bleue, le nom du modèle et la date : 19 septembre 1859.

Cette scène du portrait a été transportée dans le roman. Les circonstances sont les mêmes, mais Jules s’appelle Denoisel. C’est l’ami délicat, raffiné et finement blagueur, dans lequel se personnifient l’esprit et le caractère des deux auteurs, qu’ils ont donné pour partner à leur jeune fille moderne. Son père et lui l’ont élevée : « Renée a grandi sous cette double influence. Aucun pli de convention n’a faussé sa svelte et vibrante nature. Son caractère a pris une tournure virile ; son langage, l’accent pittoresque des conversations d’atelier. Tout ce qui passe par sa jeune tête descend sur ses lèvres et s’en échappe en saillies soudaines. Son esprit s’est, pour ainsi dire, déguisé en homme ; il court, il vole, il observe avec des étourderies de page et des malices de rapin… Car c’est là le charme de cette fille étrange ; la hardiesse est sur ses lèvres et la pureté dans son cœur. Ce masque d’ironie recouvre une figure de vierge. Supérieure, par l’esprit, au monde bourgeois qui l’entoure, douée d’une observation pénétrante et vive, comme la seconde vue. Renée échappe à l’amour par la délicatesse même de son être qui n’admettrait pas un bonheur vulgaire. »

Il faudrait tout citer du merveilleux feuilleton que Paul de Saint-Victor a écrit sur le livre de ses amis : « Henri Mauperin… est le jeune homme à sang froid, une espèce particulière à la seconde moitié de ce siècle, le jeune homme né mur, désabusé, pratique, qui, dès le seuil de la vie, congédie l’amour, les illusions, l’enthousiasme comme des amis importuns dont le cortège retarderait sa marche et l’empêcheraient d’ar-