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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/203

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d’une mère au dévouement d’un ami et qui avait uni si étroitement sa vie et son intelligence à la sienne, qu’à eux deux ils ne paraissaient former qu’un seul être. Il était impossible de connaître sans l’aimer, ce jeune homme au visage d’enfant, au rire facile et aimable, au regard éclatant d’esprit et de volonté, désabusé de très bonne heure sous son air candide, armé contre les illusions et les mensonges de la vie d’une clairvoyance pénétrante, mais recouvrant d’une gaieté charmante cette expérience si précoce et voilant de grâce l’ironie pensive qui était le trait de son caractère. L’art était, pour lui, une loi et un culte ; il s’y était renfermé avec son frère, comme dans un cloître à deux cellules, à peine entrouvert du côté du monde ; il y enchaînait volontairement au travail sa jeunesse qui aurait pu être si brillante et si répandue. Former son talent, le perfectionner, l’accomplir, le tailler, en quelque sorte, comme un diamant sans défaut, ce fut la seule ambition, l’absorbant souci de cette courte existence. Cette blonde et jeune tête restait des mois entiers courbée sur sa tâche. Les passions de l’esprit sont les seules dont il ait brûlé. »

Ce bel article apporta un double soulagement au cœur de M. Edmond de Goncourt qui s’empressa d’écrire à Paul de Saint-Victor :

Bar-sur-Seine, 5 juillet 1870.
Mon cher ami,

… Que je vous suis reconnaissant des lignes de cœur et de talent consacrées à mon bien-aimé. Quel charmant et ressemblant portrait moral vous avez fait du pauvre enfant, de ce doux blessé de la vie. Ah ! Saint-Victor, votre lettre, vos larmes à l’enterrement, cet article, le chaud et émotionné réveil de votre amitié me sont entrés au cœur. Je sens que je vous aime tendrement et il faut la faire revivre, cette