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au logis des père et mère et vint emplir leur grenier. Un jour qu’Edmond et Jules avaient grimpé là, par hasard, ils se mirent, assis par terre, à lire un exemplaire ramassé dans le tas, et trouvant leur premier ouvrage « faible, incomplet, enfantin, » ils se décidèrent à le brûler.

On ne parla donc plus d’En 18 devenu un des merles blancs introuvables que les bibliomanes poursuivent à cause de leur rareté. Il y a trois ou quatre ans, un éditeur belge, M. Kistemaeckers, fortement attiré par les essais des débutants, désira joindre à sa collection le premier livre des Goncourt. Après une assez longue hésitation, l’auteur survivant autorisa la réimpression, mais il fit réintégrer les passages supprimés par les censeurs de 1851 et lesta le volume d’une préface aussi spirituelle qu’éloquente, dans laquelle il le juge sans aucune indulgence. « Oh ! ce qui fait le livre mauvais, je le sais mieux que personne ! c’est une recherche agaçante de l’esprit, c’est un dialogue dont la langue parlée est faite avec des phrases de livres, c’est un coquetage amoureux d’une fausseté insupportable, insupportable… Il existe un vice plus radical dans le style de ce roman d’En 18 : il est composé de deux styles disparates : d’un style alors amoureux de Janin, celui du frère cadet, d’un style alors amoureux de Th. Gautier, celui du frère aîné… »

Mais n’eût-il contenu que le passage sur le Bas-Meudon auquel J. Janin s’était arrêté avec amour, que le livre mériterait d’être sauvé :

« Il y a là, au milieu des roseaux frémissants, au milieu des saules penchés sur l’eau, un vieux bac moussu, la tête enfoncée sous les larges feuilles verdâtres des nénuphars qui enjambent ses planches disjointes. Sur une barque, un marinier à la chemise blanche, sil-