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houette éblouissante, tire péniblement le sable. Une croisière de canetons, flocons de plumes courant sur l’eau, cingle vers des bancs de plantes submergées dont le vert pourpré brise seul l’image du ciel qui se regarde dans la rivière.

« La rivière coule, douce, et s’endort dans ces îles bénies qui la reposent avant son courant de Saint-Cloud.

« Il est midi. Le ciel est bleu, partout bleu. Des balayures de nuages, gouttes de lait épandues dans l’éther, s’envolent à l’horizon. De poudroyantes clartés illuminent l’espace, et, détachant les derniers voiles, accusent vivement les contours noyés sous l’estompe du matin. Tout rayonne. Le fleuve, comme un immense poisson tout cuirassé d’azur et d’or, secoue à tout moment, dans un pan d’ombre, ses millions de paillettes, comme d’étincelantes écailles.

« Le soleil allume, une à une, les dernières émeraudes du feuillage et, perçant les sombres masses de verdure, les pénètre de transparence et ne laisse qu’une ombreuse percée dans cette verte saulée assise sur la rive de l’île, au pied du vieux bac.

« La rivière susurre ; le bourdonnement des insectes, le stri stri incessant du grillon, les sourds battements d’ailes dans les hauts peupliers, les notes étouffées de lointaines chansons, le bruissement des germes qui s’élancent à la vie, joyeux et crépitants, remplissent le silence de ce murmurant hosannah que chante une belle journée.

« Par instants, une brise sans haleine passe dans la feuillée ; les branches amoureuses renversent l’une sur l’autre leurs feuilles qui s’argentent. Les roseaux s’inclinent et font, le long de la rive, onduler leurs arches vertes ; l’eau frissonne et se ride de moires diamantines. Mille senteurs pénétrantes et vagues, tout ce parfum