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au canada et chez les peaux-rouges

descence de maladie, la vaccination « compulsoire » avait été ordonnée à tous les habitants. Ce fut une cause de troubles, un certain nombre d’habitants, excités par les adversaires de la vaccination, refusant d’obéir à l’arrêté du maire. Pendant deux jours des bandes parcoururent les rues, en réclamant le retrait de l’arrêté. Il y eut des vitres cassées, des personnes blessées et l’on fut obligé, pour calmer l’effervescence et rétablir l’ordre, de mettre la milice sur pied.

Tous ceux qui quittaient Montréal étaient quelque peu suspects aux yeux des populations environnantes. La frayeur était poussée à un tel point qu’un cas de picotte s’étant déclaré dans la demeure du chef de gare d’un petit village, la Compagnie du chemin de fer décida que les trains ne s’arrêteraient plus à cette station jusqu’à ce que le mal eût disparu. Sur la frontière des États-Unis et sur la limite d’Ontario, nul ne pouvait passer s’il n’exhibait un certificat de médecin constatant qu’il avait été fraîchement vacciné. Faute de ce certificat, on procédait aussitôt à l’opération, et si le patient refusait de s’y soumettre, on le réembarquait illico.

C’est dans ces circonstances que je quittai Montréal pour me rendre à l’exposition agricole de Sherbrooke. Je n’avais point le certificat que l’on disait réglementaire, mais je savais que dans la province de Québec on était moins rigoureux, et de plus je comptais sur ma bonne mine pour ne pas être considéré comme un picotteux. Dans la grande gare de Bonaventure, brillamment éclairée, on ne voit guère que quelques policemen et des employés oisifs. Le voyageur fait défaut, et l’on en est à regretter amèrement celui que les Compagnies considèrent comme « le plus désagréable des colis ». Montréal, en effet, étant regardé comme lieu infecté, on y vient peu et on en sort peu. Je m’installe dans un de ces grands wagons à quarante huit places où nous ne sommes pas plus de six. À chaque instant je m’attends à voir apparaître le médecin chargé de me vacciner ou de me déposer à la première station venue. Mais rien ne vient et j’arrive sans encombre au but de mon voyage.

La cité de Sherbrooke est bâtie à flancs de coteau sur les deux rives escarpées et pittoresques du Magog, au confluent de cette rivière avec le Saint-François. De la ville haute où se trouvent l’évêché, la cathédrale, le séminaire, on jouit, d’un joli coup d’œil sur la contrée envi-