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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/191

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LES PEAUX-ROUGES

L’école n’a que deux ans d’existence, aussi l’installation est-elle à peine terminée. Les communs sentent leur provisoire, les jeunes arbres se plantent, les clôtures se dessinent ; seul, un beau potager est dans toute sa splendeur. Une petite hutte basse attire mon attention. Au-dessus d’un trou, creusé jusqu’à mi-hauteur d’homme, s’élève une rotonde de branchages que l’on recouvre de toiles et de couvertures. Au fond du trou s’entassent des cailloux rougis, et sous cet abri, où l’air ne se renouvelle pas, pénètrent en rampant des Sauvages malades et rhumatisants, qui viennent faire une longue séance d’inhalation. C’est ce que, dans la traduction littérale, on appelle une suerie.

En fondant des écoles industrielles pour les Sauvages, le gouvernement a voulu voir s’il serait plus facile de transformer les Indiens en artisans qu’en agriculteurs. Jusqu’ici, les résultats ne semblent pas meilleurs, mais l’épreuve n’a pas été suffisante pour qu’il soit possible de se prononcer. L’école est une petite colonie, mais une colonie anglaise. En effet, les maîtres, les serviteurs, les Sœurs qui y sont installés, sont tous de langue anglaise, à l’exception d’une novice, originaire de France, dont la pénitence (qui ne sera pas longue sans doute) est de ne posséder aucune notion de la langue britannique. L’éducation des jeunes sauvages se fait en anglais, car, à part les missionnaires chargés de la surveillance des écoles, aucun des maîtres ne possède les deux langues. Bien mieux, quand le maître est de langue française, c’est encore l’anglais qu’il doit enseigner. C’est ainsi que dans l’immense Nord-Ouest se pratique l’égalité des deux langues. C’est là un fait extrêmement fâcheux, non pas au point des résultats qu’il donne actuellement, mais de ceux qu’il pourrait donner et des précédents qu’on ne manquera pas d’invoquer à l’avenir. Il faut cependant reconnaître que, dans le cas actuel, il n’y a en jeu que des intérêts indiens, et non français.

Jusqu’à ce jour, le plus difficile a été de retenir les Indiens. La première année de l’école, on en avait amené, et non sans peine, de 12, 15 et même 18 ans ; au bout de quelques mois, et une fois l’hiver passé, il n’en restait plus un seul, tous avaient pris successivement la clef des champs. Cette année, on n’a cherché à élever que des enfants de moins de 12 ans. Le résultat a été meilleur, mais bien faible encore. Que peut-on obtenir de ces pétulants enfants, qu’il est impossible