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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/190

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AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

rent sur son compte ; en voici une, celle du bouleau, qui montre de quelle façon particulière les Sauvages expliquent les phénomènes de la nature :


Le Génie, traversant un jour une savane, aperçut un ours qui se frottait fréquemment les yeux avec ses pattes. Il se dirigea vers lui. « Eh ! s’écria-t-il, salut, frère. » L’ours leva la tête et l’ayant reconnu : « Salut, frère », car les animaux le comprenaient et pouvaient lui répondre. « Qu’as-tu donc à te frotter comme cela les yeux ; as-tu mal ? — Eh ! oui, j’éprouve une démangeaison que je ne puis faire cesser. — Oh ! si ce n’est que cela, dit le Génie après l’avoir regardé, je puis te guérir. Veux-tu que je t’indique un remède ? — Oui, répondit l’ours, car j’ai confiance en toi. — S’il en est ainsi, je vais prendre ces petites graines rouges que tu vois là-bas, en exprimer le jus et te le verser dans les yeux. Ce sera cuisant, mais cela ne t’en guérira que plus rapidement. Il faut pour cela que tu te mettes sur le dos afin de me faciliter l’opération. — C’est entendu, » fit l’ours, qui de suite se plaça dans la position requise. Le voyant ainsi sans défense, le Génie prit une grosse pierre et, d’un coup, lui broya la tête, « Voici, se dit-il alors, mon déjeuner assuré.»

Il se demanda ensuite comment il ferait cuire l’ours. Réflexion faite, il se décida à le faire rôtir tout entier avec le poil. L’opération terminée, il regretta de ne pas avoir un grand appétit afin de pouvoir dévorer l’ours à belles dents.

Il eut alors une idée. S’adressant à un bouleau formé de deux tiges partant du même pied, il lui dit (car les arbres le comprenaient aussi) : « Je vais me placer entre tes deux branches et tu me resserreras jusqu’à ce que je te dise d’arrêter, afin que, par cette opération, je puisse me dilater et absorber une plus large part du festin qui m’attend. » Le bouleau le resserra. « Encore, dit-il, ce n’est pas assez. » Le bouleau continua son mouvement. « Encore un peu, fit-il. Là ; c’est bien. Desserre-moi maintenant. » Mais le bouleau, voulant le punir de sa mauvaise foi envers l’ours, resta immobile et le maintint attaché malgré ses supplications.

Voyant qu’il ne pouvait remuer et restait comme pris au piège, les loups et les coyotes, qui attendaient dans le fourré que le repas fût consommé pour en recueillir les restes, s’avancèrent sans crainte en vue de rassasier leur faim. Ils mangèrent de si bel appétit que de l’ours il ne resta bientôt plus rien. Alors seulement le bouleau se desserra et, satisfait de la leçon qu’il venait de donner, rendit la liberté à son captif.

Mais le Génie voulut à son tour se venger du bouleau qui l’avait humilié. « Désormais, lui dit-il, ton écorce ne poussera plus en hauteur comme celle des autres arbres, mais elle s’étendra de côté. »

Et voilà pourquoi, depuis cette époque, l’écorce du bouleau pousse dans le sens horizontal.


De la légende je reviens à la réalité en reprenant la route de l’école Saint-Joseph. Nous franchissons successivement la Fish et la Pine Creek, gravissons plusieurs côtes pour descendre enfin dans un repli de terrain qui abrite l’école. Le site est assez pittoresque : à deux pas de la maison, coule, en de sinueux contours, la rivière du Grand Bois ; de gracieux bouquets d’arbres donnent de la vie à ce petit coin de terre, sur lequel apparaissent des affleurements de charbon. Celui-ci est malheureusement trop disséminé pour pouvoir être extrait avec profit.