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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/194

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AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

arrivés à destination. Nous regardons autour de nous, mais ne voyons absolument rien à travers la nuit noire, pas même la cabane qui sert de gare. Rien ne remue et il n’y a pas une lumière à l’horizon. Enfin deux d’entre nous se dévouent pour aller en reconnaissance. Ils finissent, grâce aux aboiements des chiens, à découvrir la station, où, vu l’heure avancée, on ne leur ouvre qu’après quelque attente. Là on apprend que M. Cochrane est absent et que personne n’a été averti de notre arrivée, car il n’y a pas de bureau télégraphique ouvert. L’employé qui avait reçu notre télégramme, l’avait lu bien attentivement, en avait perçu scrupuleusement le prix, mais ne s’était pas donné la peine de nous dire qu’il ne parviendrait pas. En présence de ce tour par trop américain, il nous faut renoncer à l’hospitalité du ranche, sur laquelle nous comptions un peu. Notre wagon, fermé à ses deux extrémités, est transformé en campement. Chacun, en déplaçant à sa guise les banquettes mobiles, s’organise une couchette de sa façon, et le poêle, dans lequel nous remettons le charbon laissé à notre portée, nous permet de ne pas trop nous ressentir de la fraîcheur de la nuit.

Le lendemain, nous nous rendons à l’établissement d’élevage qui est le but de notre visite. Avant d’arriver au ranche nous rencontrons le troupeau de chevaux, fort de 3 à 400 têtes, qu’un seul cow-boy mène s’abreuver à la rivière. Le cow-boy (gardien de bestiaux) est toujours monté, et souvent avec un certain luxe. Son costume — un pantalon de cuir à franges, une vareuse de peau ornée de broderies et de franges — lui donne beaucoup de cachet. Cavalier intrépide et chasseur émérite, il exerce un dur métier en surveillant en tout temps de nombreux troupeaux qu’il a pour mission de protéger contre les rapines des Indiens. Parfois c’est un déclassé de haute famille qui expie sous la veste de cow-boy, les dissipations de sa jeunesse ; mais la leçon ne sert guère, car le cow-boy dépense souvent au jeu le fruit de plusieurs mois de travail, s’il lui arrive de rentrer, ne fût-ce qu’un instant, dans le giron de l’humanité civilisée. Fort habile dans le maniement de son troupeau, le cow-boy que nous rencontrons nous en donne une preuve en lançant sa troupe au petit galop. C’est un curieux spectacle de voir s’ébranler cette longue file de chevaux et, pour en prendre un, il faut se servir du lasso, utile à double fin, car c’est avec lui qu’on capture également les maraudeurs.