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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/204

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AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

ce flegme britannique bien connu, répondait invariablement à toutes les questions par ces deux monosyllabes : yes, no, aussi agaçants que décourageants. Impossible d’en tirer le moindre renseignement sur la possibilité de continuer la route par terre ou par un train de ballast.

Mais quand ce même secrétaire eut appris que nous avions une lettre de son directeur, il leva la tête et commença à sortir de son impassibilité. Puis, quand il eut lu la lettre, il devint immédiatement l’homme le plus aimable du monde, nous invita aussitôt à venir nous chauffer dans son bureau, installé dans un wagon placé sur une voie de garage. Il nous fit alors connaître l’absence de M. Ross, ce qui rendait à peu près impossible la continuation de notre voyage, et, finalement, nous annonça qu’il nous faisait préparer à dîner avec tout ce que la Compagnie pouvait nous offrir de mieux. Voilà comment, grâce à M. Van Horne, nous fîmes honneur à la table de la Compagnie du Pacifique.

Le soir, nous nous rendons à l’hôtel encombré d’ouvriers aux traits tirés et aux figures parfois rudes et farouches. Ce sont pour la plupart des terrassiers qui ont travaillé tout l’été à la construction de la ligne et sont en route, par escouades, pour repasser les Rocheuses. Nous trouvons là quelques rares Canadiens-Français, un de nos compatriotes, originaire de Decazeville, et un individu bavard qui se dit aussi Français, et qui, pressé de questions sur son lieu d’origine, finit par déclarer qu’il est de… Lombardie. Tous sont peu satisfaits, car l’abondance de la main-d’œuvre a amené forcément une baisse des salaires. Il y a un an, chacun recevait 3 piastres par jour ; or cette année, le salaire quotidien n’a été que de 2 piastres. Sur ces 2 piastres, il faut chaque jour en prélever une pour le prix de la pension et, quand il fait mauvais temps, l’ouvrier chôme et n’est pas payé. Depuis deux semaines le temps est presque toujours à la pluie et la campagne de travail est virtuellement terminée.

Tout est très cher à Donald : une chambre pour la nuit avec un petit déjeuner se paie 1 piastre 1/2, et quelle turne ! Si l’hôtelier se plaint de ce que les ravitaillements sont coûteux, par contre il ne dit pas quels bénéfices il réalise sur les liqueurs fortes. Le petit verre de brandy se vend 50 cents (2 fr. 50 c.), et les ouvriers en consomment presque tous. Or, comme le gallon (4 litres 1/2) revient à 4 piastres