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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/205

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LES MONTAGNES ROCHEUSES

(20 francs), on voit que le métier de débitant dans ces parages permet d’aller vivre de ses rentes fort jeune encore.

Nous passons la soirée dans la grande salle de l’hôtel Selkirk où se trouve un billard sale et défraîchi qui ne manque pas d’amateurs. Les carambolages se succèdent et les boules roulent toute la nuit. À côté, autour d’une grande table, éclairée par une lampe fumeuse, des joueurs suivent, l’œil hagard, avec une attention bruyante, la fortune des cartes, et les piastres, froissées et crasseuses à force d’avoir passé dans les portefeuilles, tombent par paquets devant le banquier, sur un tapis qui a pu être considéré comme vert à une époque déjà éloignée. La demi-clarté qui enveloppe ce groupe fait encore ressortir l’énergie de ces figures rébarbatives, mineurs, bûcherons, peut-être même brigands, avec qui on ne voudrait pas avoir même l’ombre d’une discussion. Quel beau sujet d’étude il y aurait là pour un Gustave Doré !

Donald était, au moment de notre passage, le terminus du Pacifique, à l’est de la Colombie, tandis qu’à l’ouest la voie ferrée était exploitée de Port-Moody à Kamloops. Quelques semaines plus tard (7 novembre) le dernier rail était posé, réunissant les deux sections et, par suite, les deux océans. Huit mois après, le train d’inauguration partant de Montréal, arrivait à Port-Moody (4 juillet 1886).

L’intérieur de la Colombie, hérissé de montagnes et couvert de forêts, est, pour ainsi dire, inhabité et ce n’est que dans le voisinage de l’océan Pacifique que la colonisation réapparaît. Mais avant d’y arriver le chemin de fer traverse une région aussi pittoresque que sauvage.

À Donald, on se trouve sur le versant oriental de la chaîne de Selkirk. Pour arriver à Revelstoke, sur le versant opposé, sans s’astreindre à suivre les détours de la Columbia, la voie ferrée grimpe, pour ainsi dire, à l’assaut de la montagne qui disparaît sous un manteau de sombres forêts que couronnent des neiges étincelantes. S’engageant dans la gorge étroite du Castor, elle se glisse ensuite dans celle, plus accidentée encore, de Roger pour arriver, par une série de précipices, au sommet de la chaîne, à plus de 1,600 mètres au-dessus du niveau de la mer. De ce point la descente s’effectue par une série de zigzags à flancs de rochers, la voie ayant à racheter une différence d’altitude de 200 mètres sur un parcours de 10 kilomètres environ, avant de suivre les capricieux crochets de la rivière Illecillewait dont les eaux roulent au fond d’une