Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/101

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s peuples à disposer librement de leur sort ». Le caractère théorique de cette formule se heurta immédiatement à la question réelle de la Russie du Sud et de l’Ouest occupée par les Allemands ; de la Pologne, des pays dévastés par les Allemands, — la Roumanie, la Belgique, la Serbie, de l’Alsace et de la Lorraine, de la Posnanie, enfin, à la question de l’esclavage, des expropriations, des travaux obligatoires pour les besoins de la guerre, toutes choses imposées par les Allemands à tous les pays tombés sous leur domination. Car, d’après le programme des social-démocrates allemands, publié enfin à Stockholm, on ne devait accorder aux Français en Alsace et Lorraine, aux Polonais en Posnanie, aux Danois en Silésie, qu’une autonomie de culture nationale sous l’égide de l’empereur d’Allemagne.

En même temps, on favorisait pleinement l’idée de l’indépendance de la Finlande, de la Pologne russe, de l’Irlande. La revendication d’une restitution complète des colonies allemandes s’alliait, d’une façon touchante, aux promesses d’indépendance faites à l’Inde, à la Corée, au Siam…

Chanteclair ne fit pas apparaître le soleil. La main tendue resta humblement dans le vide. Le Soviet dut reconnaître qu’ « il faut du temps pour que les peuples de tous les pays se dressent et, d’une main de fer, contraignent leurs rois et leurs capitalistes à conclure la paix… » En attendant, les « camarades soldats, qui avaient juré de défendre la liberté russe », ne devaient pas « renoncer à l’offensive que la situation militaire pouvait exiger… » Un certain désarroi s’empara de la démocratie révolutionnaire. Il apparut d’une façon frappante dans ces paroles de Tchéidzé : « Nous avons tout le temps parlé contre la guerre ; comment puis-je à présent exhorter les soldats à continuer la guerre, à tenir le front ? » ([1])

Quoi qu’il en soit, les mots « guerre » et « offensive » avaient été prononcés. Ils divisèrent les socialistes soviétiques en deux camps : les « défensistes » et les « défaitistes ». Théoriquement, les premiers ne comprenaient que les groupements de droite des socialistes-révolutionnaires, les socialistes-populistes, le groupe « Edinstvo » (groupe Plekhanov) et les travaillistes. Le reste des socialistes préconisaient la cessation immédiate de la guerre et l’approfondissement de la révolution à l’aide de la lutte de classes intestine. Pratiquement, dans la question de la guerre, la défense nationale était également votée par la plupart des socialistes-révolutionnaires et des social-démocrates mencheviks. Mais les formules votées étaient empreintes de cette même duplicité : ni paix, ni guerre. Tsérételli appelait à « créer un mouvement contre la guerre dans tous les pays, tant alliés qu’ennemis ». Le congrès des Soviets, à la fin de mars, prit une résolution qui manquait de précision et dans laquelle, après avoir exigé de tous les belligérants de renoncer aux «

  1. Stankevitch : Mémoires.