Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/106

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à une série d’actes qu’on qualifie en termes militaires de reconnaissance : l’occupation de plusieurs hôtels particuliers, à Pétrograd ([1]) et la démonstration du 20-21 avril. C’était la première « revue » qu’on faisait passer au prolétariat, dans le but d’évaluer les forces bolchevistes. La démonstration, à laquelle avaient pris part des ouvriers et des troupes, eut pour prétexte ([2]) la note de Milioukov sur la politique extérieure et pour conséquence des troubles dans la capitale et une collision armée où il y eut des tués et des blessés. La foule promena des placards avec les inscriptions : « À bas la politique annexionniste de Milioukov », « à bas le Gouvernement Provisoire… »

La « revue » n’eut pas de succès. Et, bien que dans leurs discours prononcés à ce propos au Soviet les bolcheviks eussent réclamé la déchéance du gouvernement, leur ton trahissait un certain manque d’assurance : «… Cependant, avant de s’y décider, le prolétariat doit examiner la situation et calculer ses forces ». Le Soviet blâma tant la politique annexionniste du Gouvernement que la manifestation des bolcheviks ; en même temps il envoya son « salut chaleureux à la démocratie révolutionnaire de Pétrograd qui, par ses meetings, ses résolutions et ses manifestations a donné une preuve de l’attention soutenue qu’elle accorde aux questions de la politique extérieure… » (Extrait d’un appel du Soviet).

Le 10 juin, pendant que siégeait le Congrès des Soviets, Lénine préparait une nouvelle démonstration armée ; cependant elle dut être suspendue, l’immense majorité du congrès s’y étant opposée. Cette démonstration devait avoir pour but de faire passer le pouvoir aux Soviets. C’était une chose très curieuse que cette lutte au sein même de la démocratie révolutionnaire, entre ses deux ailes, gardant en face l’une de l’autre une attitude irréductible. L’aile gauche essayait par tous les moyens de décider le bloc « défensiste » — qui avait la majorité pour lui — à rompre avec la bourgeoisie et à prendre le pouvoir entre ses mains. Le bloc, de son côté, se refusait catégoriquement à prendre le pouvoir. Au sein des Soviets se poursuivait une certaine différenciation qui apparaissait en ceci que, sur telles questions isolées, les socialistes-révolutionnaires de gauche et les social-démocrates internationalistes marchaient avec les bolcheviks ; cependant, jusqu’au mois de septembre, ceux-ci n’eurent pas de majorité absolue, ni dans le Soviet de Pétrograd, ni dans nombre de Soviets provinciaux. Ce ne fut que le 25 septembre que la présidence du Soviet de Pétrograd échut à Bronstein (Trotsky) succédant à Tchéidzé. Aussi la formule : « tout le pouvoir aux Soviets » apparaissait-elle dans la bouche des bolcheviks

  1. La villa Dournovo, l’hôtel de Mme Kchessinskaïa, etc.
  2. Ses raisons intimes étaient, sans aucun doute, dans la divergence essentielle entre les deux tendances dont j’ai parlé plus haut. Tout le reste ne fut que prétexte.