soit comme une marque de désintéressement et d’abnégation, soit comme une provocation. Trotsky éclaircit ce doute. D’après lui ([1]), « grâce aux réélections continuelles, le mécanisme des Soviets pouvait traduire avec précision l’état d’esprit des ouvriers et de la masse des soldats qui penchaient tout le temps vers la gauche ; après la rupture avec la bourgeoisie, les tendances extrémistes étaient appelées à prendre le dessus dans les Soviets ».
À mesure que la véritable essence du bolchevisme apparaissait d’une façon plus nette, la divergence dont j’ai parlé prenait des formes de plus en plus accusées, dépassant les cadres du programme social-démocrate (programme maximum et programme minimum) et de la tactique du parti. C’était la lutte entre la démocratie et le prolétariat, entre la majorité et la minorité — celle-ci plus arriérée au point de vue intellectuel, mais forte de son esprit de révolte audacieuse et conduite par des hommes forts, ne s’embarrassant absolument d’aucun principe ; la lutte entre les principes démocratiques — suffrage universel, libertés politiques, égalité, etc. — et la dictature d’une classe privilégiée, avec sa folie et l’esclavage en perspective.
Le 2 juillet survint la deuxième crise ministérielle dont la cause apparente fut l’opposition des ministres libéraux à l’acte d’autonomie de l’Ukraine. Et le 3 juillet les bolcheviks suscitèrent dans la capitale une nouvelle émeute, à laquelle prirent part des foules armées d’ouvriers, de soldats et de marins. Cette fois l’émeute (qui dura trois jours) prit des proportions considérables et fut accompagnée de pillages et de meurtres. Le gouvernement se trouva dans une situation pénible. Kérensky était en ce moment avec moi, au front de l’Ouest ; les rapports qui lui étaient envoyés par fil direct de Pétrograd accusaient un abattement extrême chez le président du Conseil, le prince Lvov, ainsi que chez les membres du cabinet. Le prince Lvov demandait à Kérensky de venir immédiatement à Pétrograd, tout en le prévenant qu’il ne répondait pas de sa sécurité…
Les insurgés exigeaient du Soviet de Pétrograd et du Comité central du congrès qu’ils prissent le pouvoir entre leurs mains. Les organes de la démocratie révolutionnaire s’y refusèrent à nouveau d’une façon catégorique.
La province ne se souleva pas. L’insurrection fut réprimée, grâce, surtout, à l’école militaire Vladimirsky et aux régiments cosaques ; quelques compagnies de la garnison agirent également en faveur du gouvernement. Bronstein-Trotsky écrit à ce propos que le soulèvement a été manifestement prématuré, la garnison comprenant encore trop d’éléments passifs et indécis. Cependant, l’action du 3 juillet aurait prouvé qu’ « en dehors des junkers (aspirants), personne n’était disposé à se battre contre
- ↑ « L’avènement du bolchevisme ».