Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/149

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à l’administration civile et militaire, résultat d’une longue pratique ; la présence à la tête de l’armée du Caucase, depuis août 1916, du grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, homme autoritaire, qui profitait de sa situation exceptionnelle pour trancher à sa manière les différends qui surgissaient entre le commandement et le G.Q.G. ; enfin, le caractère spécial du théâtre de la guerre et de l’adversaire, — caractère très distinct des conditions qu’offraient les fronts européens, — tout ceci singularisait l’armée du Caucase et créait entre elle et le G.Q.G. des rapports anormaux. Le général Alexéiev avait maintes fois avoué que, malgré toute sa bonne volonté, il se rendait fort mal compte de la situation au Caucase. Celui-ci avait son existence à part, ne tenant le centre au courant que dans la mesure où lui-même le croyait utile, et, d’ailleurs, présentant les choses à travers le prisme des intérêts locaux.

Au printemps de 1917, l’armée du Caucase se trouvait dans une situation difficile pour des raisons qui ne dépendaient d’aucun avantage stratégique ou militaire de l’ennemi : l’armée turque, en elle-même, n’offrait aucun danger sérieux. Le danger était dans le désordre intérieur : un pays sans routes, sans vivres, sans fourrages, des transports extrêmement difficiles, tout cela rendait l’existence des troupes intenable. L’aile droite pouvait, au moins, se ravitailler tant bien que mal, grâce aux transports de la mer Noire ; mais les autres corps, surtout ceux de l’aile gauche, étaient dans une situation extrêmement pénible. Étant données les conditions topographiques du pays, les transports se faisaient au moyen de bêtes de somme, par petites quantités, ce qui demandait un très grand nombre de chevaux, et cependant, sur les lieux, le fourrage manquait absolument ; la construction des routes destinées à la circulation des transports à traction mécanique ou animale n’avançait que très lentement, soit que l’on manquât des matériaux indispensables, soit que ceux-ci eussent été inutilement gaspillés pour la construction du chemin de fer de Trébizonde, ligne qui n’avait qu’une importance secondaire, puisqu’il existait, parallèlement, des transports maritimes.

Bref, au commencement de mai, le général Youdénitch écrivait dans son rapport que les maladies et la mortalité des chevaux avaient complètement désorganisé les convois ; certaines batteries demeurent sur les positions sans attelage ; les transports ont diminué de la moitié ; il manque près de 75.000 chevaux ; les rails, le matériel roulant et les fourrages font grandement défaut ; dans une seule moitié du mois d’avril, les effectifs de l’infanterie ont perdu 30.000 hommes, soit 22 %, à la suite du scorbut et du typhus, etc. Tout ceci obligeait le général Youdénitch à « prévoir la nécessité d’un recul forcé vers les sources de ravitaillement : au centre vers Erzeroum, sur le flanc droit, vers la frontière ».

La solution prévue par le général Youdénitch ne pouvait être admise tant pour des considérations d’ordre moral que parce que