Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/150

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notre recul aurait rendu aux forces turques la liberté d’action sur les autres fronts d’Asie. Cette circonstance inquiétait surtout l’attaché militaire anglais auprès du G.Q.G., lequel, au nom de son commandement, avait maintes fois demandé une avance de l’aile gauche de nos troupes, dans la vallée de la rivière Diala, en vue d’une opération commune avec le corps anglais du général Mood, en Mésopotamie, contre l’armée turque de Khalil-Pacha. Il est certain que cette offensive était commandée plutôt par les considérations politiques (annexionnistes) des Anglais que par des nécessités stratégiques ; d’autant plus que la situation matérielle de notre flanc gauche était vraiment catastrophique et que le mois de mai, sur la Diala, marquait le commencement des chaleurs tropicales.

Il en résulta que le front du Caucase était incapable de toute offensive et que ses troupes reçurent l’ordre de se borner à la défense active de leurs lignes, le corps du flanc gauche ne devant passer à l’offensive qu’en contact avec les Anglais et à condition que ces derniers organisent le ravitaillement de ce corps.

En fait, à la mi-avril, on avait effectué un recul partiel dans les directions d’Ognot et de Mouch ; à la fin du même mois, l’aile gauche avança, sans résultats, dans la vallée de la Diala, après quoi il s’établit au front du Caucase une situation mitoyenne entre la paix et la guerre.

Reste le dernier élément constitutif des forces armées de la Russie, la flotte de la mer Noire… En mai et au commencement de juin, il y eut déjà des troubles sérieux qui aboutirent à la démission de l’amiral Koltchak ; cependant, cette flotte était encore considérée comme assez résistante pour accomplir sa tâche, qui consistait à dominer la mer Noire et, plus particulièrement, à bloquer la côte turque et bulgare et à protéger les voies maritimes conduisant aux fronts du Caucase et de Roumanie.

J’arrêterai là mon examen de la situation des fronts russes sans entrer dans le détail des combinaisons stratégiques : toute notre stratégie, quelle qu’elle fût, se brisait, alors contre le mouvement chaotique de la soldatesque.

Car, de Pétrograd au Danube et jusqu’à la Diala, s’étendait et se précipitait à vue d’œil la décomposition de l’armée. Au début de la révolution, il était difficile d’en escompter le degré d’extension et de gravité sur les différents fronts ; il était difficile d’en prévoir les effets sur les opérations futures. Mais déjà le doute se glissait dans bien des âmes : tous nos projets, nos calculs, nos efforts ne seraient-ils pas vains ?