Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/162

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commises ; mais je consultais des personnes compétentes et je ne prenais un parti que lorsque j’étais sûr qu’il répondait à l’état d’esprit général. Quoi qu’il en soit, c’est nous qui avons poussé tout ce qu’il y avait parmi le commandement d’hommes supérieurement doués. Je ne tenais pas compte de la hiérarchie. Il y a des gens qui ont commencé la guerre comme à la tête d’un régiment et qui, à présent, commandent des armées… Ainsi, nous sommes parvenus non seulement à une amélioration, mais à un autre résultat encore, non moins important, celui d’avoir proclamé le mot d’ordre « place au talent… » Et ceci a rempli tous les cœurs d’un sentiment de joie, faisant travailler les hommes avec enthousiasme, avec élan… »

Quel fut le résultat de tous ces changements grandioses dans l’armée ? Le commandement fut-il réellement et sensiblement amélioré ? Je crois que ce but n’a pas été atteint. On a vu apparaître sur la scène des hommes nouveaux, mis en évidence grâce au droit désormais consacré de se choisir ses auxiliaires et non sans l’influence de motifs trop connus, tels que parenté, amitié et nouvelles relations. La révolution pouvait-elle corriger et transfigurer les hommes ? La sélection mécanique pouvait-elle élaguer de la vie militaire un système qui, pendant de longues années, avait paralysé tout velléité de travail et de perfectionnement ? Il se peut qu’on ait mis en évidence quelques « talents isolés », mais en même temps on a fait monter à la surface des dizaines, des centaines d’hommes dont l’avancement était dû au hasard et non à leurs connaissances ou à leur énergie. Le caractère fortuit des nominations s’accentua davantage par la suite, lorsque Kérensky eut abrogé (en juin), pour toute la durée de la guerre, aussi bien les titres précédemment nécessaires pour l’avancement que la concordance entre le grade et le poste, y compris, bien entendu, les prérogatives du savoir et de l’expérience.

J’ai devant moi la liste des grands chefs de l’armée russe, se rapportant à la moitié de mai 1917, c’est-à-dire à l’époque précisément où l’ « épuration » entreprise par Goutchkov était terminée. La liste comprend le Généralissime, les commandants en chef des fronts, des armées, des flottes, et les chefs de leurs états-majors. En tout 45 personnes ([1]). Le cerveau, l’âme et la volonté de l’armée. Il est difficile de se faire une idée de leurs qualités militaires d’après les derniers postes qu’ils ont occupés, car, en 1917, la stratégie et la science militaire en général trouvaient peu d’occasions d’être appliquées, étant devenues esclaves de la soldatesque. Mais je connais très bien le rôle de ces personnages dans la lutte contre la « démocratisation », c’est-à-dire contre la désorganisation de l’armée. Voici les rapports numériques entre trois catégories différentes :

Commandants en chef, commandants des armées et commandants de flottes :

  1. De ce nombre, il en est cinq que je ne connais pas du tout ; c’est pourquoi je n’en parle pas.