Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/177

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Cet acte, qui, en pleine guerre, sanctionnait la transformation de l’armée en une arène de lutte politique et ôtait au chef le droit d’être le maître dans son unité, fut une des étapes principales dans la voie de la destruction de l’armée. Il est intéressant de comparer à cet état de choses le point de vue adopté dans l’armée de l’anarchiste Makhno et exprimé dans l’ordre du jour de l’un de ses «commandants des troupes », Volodine, à la date du 10 novembre 1919.

« Étant donné que toute propagande des partis, dans l’état de lutte actuelle, désorganise considérablement l’action purement militaire de l’armée des partisans, je déclare expressément à toute la population que j’interdis absolument toute propagande des partis jusqu’à la victoire finale sur les blancs… »

Quelques jours après, le G.Q.G. ayant protesté, le Ministère de la Guerre ordonna de « surseoir pour le moment à l’application de l’ordre dans sa partie relative aux comités. Là où ceux-ci ont déjà été organisés, on peut les laisser en vigueur afin de ne pas créer de désordre et de désorganisation ». Le Ministère reconnut qu’il était indispensable d’amender l’article relatif aux comités en s’inspirant de l’ordre du Généralissime, « plus conforme aux besoins de l’armée… »

Ainsi, vers le milieu d’avril, l’armée possédait plusieurs systèmes d’organisations : celui, créé d’une façon illicite, avant le mois d’avril ; celui, institué par le G.Q.G. et celui prescrit par le Ministère. Ces contradictions, amendements, réélections, etc. auraient pu fort embarrasser les unités, si les comités eux-mêmes n’avaient pas simplifié la question : ils rejetèrent tout ce qui limitait et réglementait leur activité et se mirent à agir à leur guise.

Enfin, dans les villes où étaient cantonnées les troupes ou les administrations militaires, surgirent des soviets locaux de soldats ou de députés des soldats et des ouvriers ; ces organes n’obéissaient à aucun règlement et se faisaient une spécialité du recel des déserteurs et de l’exploitation éhontée des administrations municipales, des zemstvos et de la population. Le pouvoir n’entreprenait rien contre eux, on les laissait faire, et ce ne fut qu’à la fin d’août que le Ministère de la Guerre, exaspéré par les excès de ces « institutions de l’arrière », communiqua à la presse son « intention d’élaborer un statut spécial les concernant ».

Qui donc étaient ceux qui composaient les comités ? Il y avait très peu d’éléments vraiment militaires, solidaires des intérêts de l’armée comprenant les conditions de son existence, pénétrés de traditions militaires. La vaillance, le courage, le sentiment du devoir, toutes ces valeurs impondérables, n’avaient pas cours sur l’arène de la vie nouvelle qui s’établissait à coups de meetings. La masse des soldats, malheureusement ignorante, illettrée, déjà démoralisée et n’ayant pas confiance dans ses chefs, choisissait pour la représenter surtout des hommes qui lui en imposaient par leurs discours aisés, par un vernis politique extérieur puisé dans la