Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/180

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voté le blâme », devenant intenable. C’est ainsi, par exemple, que sur le front de l’Ouest, dont je commandais les armées, on avait forcé à se retirer, jusqu’au mois de juillet, près de 60 officiers supérieurs, depuis des chefs de régiment jusques et y compris le général commandant d’un corps d’armée.

Mais ce qui était le plus terrible, c’était la tendance des comités — tendance due soit à leur propre initiative, soit aux exigences des troupes — à s’immiscer dans les mesures purement stratégiques et tactiques des chefs, ce qui ne manquait pas de compliquer à l’extrême la marche des opérations et même de les rendre positivement impossibles.

Le chef, entravé, paralysé, privé de son individualité, de son pouvoir et, par conséquent, irresponsable, ne pouvait désormais conduire avec confiance ses troupes à la victoire et à la mort…

Cependant, son autorité ayant disparu, le chef se trouvait, bon gré, mal gré, contraint de demander l’assistance des comités ; ceux-ci, en effet, parvenaient quelquefois à apaiser la masse turbulente des soldats ; ils luttaient contre la désertion, réglaient les conflits entre les officiers et les soldats, appelaient à exécuter les ordres donnés et, d’une manière générale, soutenaient l’échafaudage extérieur d’un édifice qui commençait à se lézarder.

Ce côté positif de certains comités continue, jusqu’à ce jour, à induire en erreur leurs apologistes, y compris Kérensky. Je ne peux pas discuter avec des gens qui croient qu’on puisse construire une maison en posant un jour la charpente et en pillant les poutres le lendemain.

Ainsi se poursuivaient l’action apparente et l’action occulte des organisations militaires, passant tour à tour des appels patriotiques aux mots d’ordre internationalistes ; de l’appui du commandement à son abolition ; des votes de confiance ou de méfiance à l’égard du Gouvernement Provisoire à des ultimatums pour réclamer des bottes neuves ou des primes payables aux membres du Comité… L’historien de l’armée russe, qui aura étudié ce phénomène, sera stupéfait de constater dans la plupart des actes et de la littérature des comités une incompréhension absolue des lois qui régissent l’existence d’une force armée.

Les comités de l’arrière et de la flotte étaient surtout pénétrés d’un esprit démagogique. La flotte de la Baltique demeurait tout le temps dans un état proche de l’anarchie ; la flotte de la mer Noire se comportait mieux et demeura ferme jusqu’à juin. Il est difficile de mesurer le mal immense causé par les comités et les soviets de l’arrière, répandus dans le pays entier, et où l’arrogance emboîtait le pas à une ignorance extraordinaire. Je me bornerai à citer quelques exemples qui caractérisent les différentes manifestations de ces organes.

Vers le milieu du mois de mai, le Comité régional de l’armée, de la flotte et des ouvriers de Finlande lançait une proclamation