Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/190

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pour la gloire du socialisme : cela les bolcheviks le firent plus tard ; en exterminant leurs adversaires méthodiquement, cruellement, sans merci, ils obligèrent les intellectuels et les officiers survivants à servir le communisme.

La démocratie révolutionnaire (socialiste), en réalité maîtresse du pouvoir s’était tracé un programme : elle savait bien que les administrateurs et les chefs militaires chargés par elle de réaliser ce programme, étaient loin de partager ses idées. De là, une méfiance inévitable, de là le désir d’atténuer l’influence, de diminuer l’importance de ces auxiliaires. Quelles méthodes appliquer pour y parvenir ? Comme la notion même de l’état, comme le patriotisme avaient disparu, l’organisme révolutionnaire central mit en œuvre, pour combattre ses adversaires politiques, toutes les méthodes de destruction, sans prendre garde au fait que ces méthodes minaient du même coup et le pays et l’armée.

Notons enfin une circonstance encore, et des plus importantes : la révolution vint ébranler toutes les assises de l’État et rompre l’équilibre des classes juste à l’heure où toute la fleur de la nation était sous les armes, environ dix millions de jeunes hommes. On était sur le point d’élire les représentants du peuple à l’Assemblée Constituante. Dans ces conditions il était tout à fait impossible d’empêcher la politique d’envahir l’armée — pouvait-on arrêter le courant du fleuve ? On aurait pu toutefois le canaliser dans une bonne direction, la chose n’est pas douteuse. C’est alors que les deux partis s’affrontèrent, chacun avec sa méthode (méthode conservatrice — méthode démagogique). Et chaque parti s’efforça d’influer sur l’esprit de l’armée, ce facteur tout puissant de la révolution.

Telles sont les données qui nous permettent de définir et de fonder avec logique le processus de la « démocratisation » de l’armée. Une classe, la démocratie révolutionnaire, gouverna tout d’abord dans la coulisse, puis ouvertement, sur la scène : pour fortifier sa position, pour satisfaire aux instincts de la foule, elle mina l’autorité militaire. Elle contribua à créer des organisations militaires collectives ; si ces organisations ne suivaient pas toujours les directives du Soviet, du moins étaient-ils moins dangereux et plus maniables que le haut commandement. Mais il fallait, de toute nécessité, une autorité militaire. La méfiance à l’égard des officiers d’une part, d’autre part le désir de placer une sorte de tampon entre les deux éléments de l’armée qu’on avait artificiellement séparés, conduisirent à adopter le système des commissaires. Ces deux institutions (comités et commissaires) ne contentèrent ni les soldats, ni les officiers ; elles tombèrent en même temps que le Gouvernement Provisoire. Plus tard, avec quelques modifications, elles reparurent dans l’armée rouge. Mais bientôt, de nouveau, la vie les balaya.