Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/199

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hui, cette opération serait impossible. Au moindre changement, les troupes s’agitent.

On ne veut rien faire pour la Patrie. On trouve cent prétextes pour ne pas relever les unités qui sont au front : il fait mauvais temps ; les hommes ne sont pas tous allés aux bains, etc. Une fois même des hommes refusèrent de descendre en tranchée parce qu’ils s’y étaient déjà trouvés pendant les fêtes de Pâques, deux ans auparavant. Il fallut marchander avec les comités des troupes en question.

Les officiers qui essaient de capter la masse et qui spéculent sur ses mauvais instincts sont très peu nombreux.

Nulle part le principe de l’élection n’a été sérieusement appliqué. Dans certains régiments on s’est débarrassé des gêneurs, accusés de défendre l’ancien régime. Ailleurs on a maintenu des chefs sans valeur qu’il aurait fallu mettre à la retraite. Les soldats n’ont pas voulu comprendre qu’il était urgent de révoquer ces incapables.

Je ne dirai qu’un mot au sujet des violences : il y a eu quelques tentatives isolées de tirer sur les officiers.

La situation actuelle ne peut se prolonger. Ce qui nous manque, c’est l’autorité. Nous avons défendu la Patrie. Vous avez miné le terrain sous nos pieds, c’est à vous d’en rétablir la solidité. Vous nous avez investis d’une charge écrasante : donnez-nous l’autorité et nous saurons mener à la victoire les millions de soldats qu’on nous a confiés.

LE GÉNÉRAL STHERBATCHOV. — La cause de tous les faits qu’on vient de vous exposer — c’est l’ignorance de la masse. Évidemment, si notre peuple manque d’instruction, ce n’est pas sa faute. La responsabilité en incombe entièrement à l’ancien gouvernement qui tranchait les questions d’éducation populaire selon les vues du ministère de l’Intérieur. Néanmoins, nous sommes obligés de tenir compte des faits suivants : la foule ne comprend pas le sérieux de la situation, elle défigure les vérités les plus simples.

Si nous voulons éviter l’écroulement de la Russie, nous devons continuer la guerre, nous devons prendre l’offensive. Ou bien nous nous heurterons à cette chose inouïe : les soldats de la Russie opprimée ont combattu en héros ; mais, après avoir renversé un gouvernement qui se préparait à signer une paix honteuse, les citoyens de la Russie libre ne veulent plus se battre pour défendre leur liberté : c’est étrange, c’est incroyable, c’est incompréhensible — mais cela est.

La discipline a disparu : voilà la cause du phénomène. Les chefs n’inspirent aucune confiance. Pour beaucoup le mot de Patrie est vide de sens.

Cette situation est douloureuse. Elle l’est particulièrement sur le front de Roumanie. La guerre y est plus dure que sur les autres fronts. En outre, la conjoncture politique y est infiniment moins nette.