Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/200

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Le théâtre des hostilités, c’est la montagne. Les hommes de la plaine y éprouvent un pesant ennui. On entend souvent réclamer : « Emmenez-nous ! Assez de ces sacrées montagnes ! » Le ravitaillement est difficile parce qu’on ne dispose que d’une seule voie ferrée. Et cela augmente le mécontentement. Nous luttons sur le territoire roumain : on en conclut que c’est « pour la Roumanie ! » ce qui n’excite aucun enthousiasme. L’attitude des paysans roumains n’est pas toujours bienveillante : ils refusent, déclarent nos soldats, d’aider ceux qui se battent pour eux. Souvent des disputes éclatent : elles s’enveniment parce que beaucoup de Roumains nous croient responsables des défaites qu’ils ont essuyées et qui les ont privés d’une grande partie de leur territoire et de leurs biens.

Le gouvernement roumain et les représentants des alliés connaissent et escomptent l’agitation qui règne dans notre armée. Leurs sentiments ne sont plus les mêmes. Je vois bien qu’il y a du froid entre eux et nous. On n’a plus pour nous le même respect qu’autrefois. On ne croit plus à la vigueur de l’armée russe.

Je défends encore mon autorité — mais si la décomposition de l’armée ne s’arrête pas, nous perdrons nos alliés et nous nous en ferons même des ennemis. La paix se fera à nos dépens : voilà ce qui nous menace.

En 1914 nous avons traversé toute la Galicie. En 1915, pendant notre retraite, nous avons fait sur le front sud-ouest 100.000 prisonniers : ce chiffre vous permet de juger cette retraite ; vous voyez ce qu’était alors le moral de nos soldats. En été 1916, nous avons sauvé l’Italie de la débâcle. Allons-nous trahir aujourd’hui la cause des alliés, allons-nous renier nos engagements ?

Notre armée est malade, mais on peut encore la guérir. Si nous y réussissons, dans un mois et demi nos héroïques officiers et soldats attaqueront de nouveau l’ennemi. L’historien sera étonné, quand il connaîtra la médiocrité de nos ressources en 1916, alors que nous obtenions de si brillants succès.

Si vous voulez relever l’armée russe, si vous voulez en faire un instrument redoutable, si vous voulez qu’elle dicte bientôt les conditions de la paix, vous devez nous soutenir. Le mal est réparable, à la condition qu’on encourage les chefs et qu’on leur fasse confiance. Nous espérons que l’autorité suprême, aux armées, sera déléguée au généralissime qui seul pourra disposer des troupes. Nous exécuterons les ordres du gouvernement provisoire, mais il nous faut votre aide la plus efficace.

LE GÉNÉRAL GOURKO. — Si vous voulez que la guerre se termine à notre avantage il faut rendre à l’armée son autorité.

Cependant on nous a soumis le projet d’une déclaration. Goutchkov n’a pas cru possible de la sanctionner : il a préféré démissionner. Un civil a refusé de la signer : nous autres chefs, je dois le